Un homme d'intuition
A presque 70 ans, Dominique Dupilet a quitté la présidence du conseil général du Pas-de-Calais en juin dernier. Dix années lui auront suffi pour faire changer l'image du Pas-de-Calais. Mais la retraite, très peu pour lui qui ne compte pas rester inactif. Portrait d'un esprit libre et fidèle.
On aura entendu parler du Pas-de-Calais… En une petite décennie, Dominique Dupilet aura été le président d’un département qui aura obtenu le plus de présence dans les classements internationaux : le marais audomarois à l’Unesco, ainsi que le bassin minier, les beffrois, les caps Blanc et Gris-Nez, la citadelle Vauban. Il aura même inauguré le Louvre-Lens. L’homme porte un amour profond à sa région : «C’est refaire du Pas-de-Calais un département qui n’est pas seulement considéré sous son angle industriel et productif, mais sous son véritable nom, c’est-à-dire la terre d’Artois, riche, et une partie de la Picardie, riche. C’est à partir de ces données-là que l’on peut reconstruire un nouveau département, une nouvelle économie, une façon de vivre une vie culturelle différente que les gens avaient abandonnée car on leur disait qu’il fallait faire un nivellement par le bas, alors que là, on fait un nivellement par le haut. Un autre succès aussi est d’avoir fait comprendre que la Grande-Bretagne était proche, en obligeant chaque enfant de la 6e à la 3e d’effectuer un séjour en Angleterre. L’un des plus grands pays du monde est à 30 km de chez nous et on n’en fait rien.»
«L’accordéon n’est pas remboursé par la sécurité sociale». Collectivité territoriale «sociale», le Conseil général doit également faire face à trois problématiques : le chômage, le handicap physique et intellectuel, et la dépendance des personnes âgées. «On va tous y arriver, assure l’ex-président. C’est essentiel d’imaginer le futur.» Et voilà l’homme parti au Japon, comprendre pourquoi il y a autant de centenaires. «Dans les maisons de retraite au Japon, tout le monde est debout à 8 h du matin et s’active en fonction de ses capacités. Les gens participent à la vie collective. En France, le matin, on attend le repas de midi, et l’après-midi, celui du soir. Je dis qu’il vaut mieux un petit air d’accordéon l’après-midi plutôt que des médicaments… Mais l’accordéon n’est pas encore remboursé par la sécurité sociale. Je voudrais que le système social soit adapté à chaque individu et non avoir une vision collective des choses.» Moins de collectivisme pour un socialiste, quelle audace ! Dominique Dupilet va aussi à l’encontre de la dernière réforme territoriale qui vise à recentraliser au niveau de la Région. «La décentralisation est morte, lâche-t-il. Je suis totalement opposé à cette réforme. On fait tout à l’envers. Il fallait partir de ce qui constituait l’ossature même de la République – les départements et les communes – pour réimaginer la réforme.» Dominique Dupilet a décidé de parier sur la génération suivante : «Le combat à mener est tel qu’il faut encore être jeune pour le mener dans les cinq-six ans. Mais je garderai ma force de parole. Je ne me reconnais ni dans le gouvernement, ni dans les dirigeants du parti socialiste aujourd’hui. J’espère que le Pas-de-Calais va être à la pointe. J’ai promis au premier secrétaire du parti socialiste que j’étais à sa disposition pour travailler. Je mourrai avec ma carte du parti socialiste.»
Parcours et ambition territoriale révolutionnaire. Derrière des verres épais, les yeux clairs de Dominique Dupilet percent l’autre. Hypermétrope et astigmate depuis l’enfance, il a appris à jouer du regard. Né le 12 octobre 1944 à Wandignies-Hamage dans le Nord, où son grand-père paternel travaille dans la faiënce, la famille quitte cette petite commune en novembre 1944 pour venir s’installer définitivement à Boulogne-sur-Mer. «Lorsque je suis rentré en 6e classique, j’étais le seul à porter des lunettes et le seul à être l’enfant d’un manuel. Mon père était coiffeur. J’ai vécu un grand complexe dont il a bien fallu que je me départisse. Je pense que cette bataille m’a renforcé.» C’est au côté de son grand-père que Dominique Dupilet va faire ses premières armes. «Mon grand-père était un anarchiste et il avait surtout l’art du conte. Il avait beaucoup voyagé et aujourd’hui encore je refais ses voyages.» Il fonde une usine de plumes à Riga en Lettonie et devait en fonder une à Budapest, mais il doit revenir en France car la guerre de 14 vient d’éclater. Comme son grand-père lui parlait aussi du sien, c’est ainsi qu’il peut aujourd’hui distiller près de 200 ans d’histoire familiale à ses deux petits-enfants âgés de 8 et 4 ans. La politique ? «J’ai toujours voulu être chef, reconnaît-il. A 13 ans, en colonie de vacances, il fallait que je sois le chef. A 20 ans, j’allais m’asseoir au jardin des Tuileries regarder l’Assemblée nationale en me disant : mon ambition c’est de rentrer.» A 22 ans, Dominique Dupilet travaille au Liban dans le cadre du rayonnement de la langue française. Il est chargé d’organiser des chantiers de jeunes dans le bâtiment et dans le volet alphabétisation. De retour en France, il est élu adjoint au maire de Boulogne-sur-Mer. Commence alors une longue carrière politique qui verra 22 mandats cohabiter ou se succéder : députation, Conseil régional, Conseil général, mandats municipaux. «Mon engagement s’est construit sur un idéal, celui du progrès en général. J’aime décider. Je suis un homme d’intuition.» Dominique Dupilet regrette aujourd’hui l’absence de représentation des jeunes. «Des jeunes de 30 ans qui ont des postes à responsabilité au niveau des institutions, il n’y en a pas. Je regarde avec intérêt le maire de Marck-en-Calaisis et le maire d’Hesdin, 26 et 22 ans. Je pense qu’ils vont révolutionner les choses. Et si les autres ne sont pas capables d’en faire autant, ils sont morts.» Lui n’en prend pas le chemin. Il attend une mission sur la transfrontalité du département. Avec une ambition révolutionnaire : «On devrait créer un grand port avec Douvres et Folkestone. Ce serait plus intelligent. Le jour où Eurotunnel décidera de faire un deuxième tunnel – et la décision arrivera –, les ports du littoral auront beaucoup moins d’attrait. Je ne suis pas sûr que faire Calais Port 2015 soit la bonne solution. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux faire un deuxième tunnel pour aller plus vite ?»
Lucy DULUC