Un forum, des questions et de grandes inquiétudes
La Convention nationale des avocats 2014 a ouvert ses portes le 28 octobre à la Park &Suites Arena de Montpellier. Avec plus de 3 000 inscrits (payants hors accompagnants, dont 660 avocats sur le millier que compte le barreau de Montpellier), la manifestation s’offre un succès populaire.
Philippe SCHRÖDER et Daniel CROCI (Réso Hebdo Eco)
Point d’orgue de la première journée de la Convention nationale des avocats 2014 : un forum de la profession qui a fait salle comble. But visé : recueillir (sans langue de bois) les doléances et les inquiétudes des confrères face aux projets de réformes des professions réglementées et de l’aide juridictionnelle, juste avant de recevoir la garde des Sceaux pour un débat qui promet d’être tendu et passionné*.
Le hall 1 du Parc des expositions montpelliérain a fait salle comble pour une première dans l’histoire des Conventions nationales des avocats portées par le Conseil national des barreaux (CNB). La 6e édition, coorganisée avec le barreau local, hôte de l’événement, a en effet proposé aux participants un forum de la profession inédit, visant à recueillir l’avis de la base et à préparer la venue de Christine Taubira, garde des Sceaux, le 30 octobre. Les débats se sont concentrés sur la réforme des professions réglementées et ses incidences sur la profession d’avocat, ainsi que sur l’avenir troublé de l’aide juridictionnelle. Un forum pour “voir comment nous, les avocats, devons nous positionner, ce que nous avons à dire, à revendiquer, ce que nous avons naturellement à craindre et peut-être aussi à espérer”, indique le président du CNB, Jean-Marie Burguburu.
Historique des relations. En préambule, Marc Bollet, vice-président de droit au CNB, président de la Conférence des bâtonniers (2014-2015) et bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Marseille, a dressé un historique des relations et échanges entre Bercy, le ministère de la Justice et la profession, autour du rapport intitulé “Projet de loi relatif à la croissance et à l’activité”, dont le CNB n’a pris connaissance dans son intégralité “sur la Toile” que le 13 octobre dernier. Un projet qui a évolué à la marge, à l’occasion des passages successifs au ministère de l’Economie de Pierre Moscovici, puis d’Arnaud Montebourg et, désormais, d’Emmanuel Macron. Selon celui-ci, ce simple document de travail ne serait pas le fruit d’une communication officielle mais proviendrait d’une fuite des services de Bercy !
Honoraires libres. Parmi les points qui fâchent : l’ouverture aux tiers du capital social des droits de vote dans le cadre de la société d’exercice libéral ; la suppression du principe de territorialité du monopole de postulation des avocats ; la création d’un statut d’avocat en entreprise, titulaire du Capa, inscrit sur le tableau du barreau sans possibilité de plaider, ni de développer une clientèle personnelle (qui signe la création de l’avocat salarié en entreprise) ; les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, d’actes juridiques et de plaidoirie fixés en accord avec tout client – c’est-à-dire des honoraires libres…
Autre point, la détermination de “qui est réellement juriste d’entreprise” serait assurée par une commission. Celle-ci ne serait pas composée uniquement d’avocats, puisque présidée par un magistrat et un directeur juridique d’une grande entreprise.
D’autres points du rapport apparaissent à la fois intéressants et inquiétants pour Marc Bollet. Les avocats pourraient demain utiliser toutes les structures d’exercice. Les capitaux des sociétés d’exercice doivent être détenus majoritairement par des professionnels (avocats, notaires, huissiers, commissaires-priseurs…), mais aussi probablement par des professionnels du chiffre, en préservant les principes déontologiques applicables à chacune des professions. Mais, a contrario, le texte va permettre que la minorité soit détenue par des tiers. Enfin, quatre points sont prévus : la profession d’exécution judiciaire, la simplification des ventes, la réduction du champ des incompatibilités d’exercice et des structures d’exercice pluridisciplinaire. Le projet de loi rappelle que le gouvernement veut être autorisé par l’article 38 de la Constitution à procéder par voie d’ordonnance, qu’il envisage de créer une profession d’exécution judiciaire et souhaite un dispositif pour simplifier les ventes judiciaires, “ce qui est tout à fait inquiétant”, selon Marc Bollet.
Rapport Le Bouillonnec : 5 points positifs, 2 points irrecevables. Présidente de la commission Accès au droit et à la justice au CNB, Myriam Picot a ensuite détaillé le rapport sur la réforme de l’aide juridictionnelle (AJ) du député Le Bouillonnec, livré à la profession à la veille de la dernière assemblée générale du CNB, le 9 octobre dernier. Le temps est donc compté pour la profession puisque les préconisations du rapport devraient intégrer le projet de loi de finances 2015, qui doit être examiné par le Parlement avant la fin de l’année. Myriam Picot y voit toutefois des avancées positives pour la profession sur cinq points essentiels. Le rapporteur entend conserver le système français de l’aide juridique en conservant l’universalité des champs sans les restreindre, ce qui devient rare en Europe.
De plus, la profession d’avocat sera largement associée, tant pour la gestion de l’aide juridictionnelle que pour le mode de détermination des rétributions des avocats. Deuxième point positif, l’ouverture à des financements complémentaires pour abonder le budget de l’AJ. Avec un bémol : le CNB avait déjà fait une proposition dans ce sens qui permettait de doubler ce budget (300 M€ supplémentaires) par une augmentation du taux de taxation des actes juridiques.
Or, 43 M€ seulement sont prévus par le rapport, grâce à une taxation partielle. Si le principe est retenu, ces 43 M€ risquent fort de ne pas suffire au vu des nouvelles augmentations de charges annoncées (l’audition libre, le déferrement devant le procureur de la République ou des missions corollaires devant la commission d’application des peines…).
Rattrapage de l’Unité de valeur. Autre avancée, selon Myriam Picot, le rattrapage de l’Unité de valeur (UV), estimé à 30 M€, attendu depuis 2007 par les avocats, malgré un engagement initial pris dans la loi de 1991 pour l’indexation de la rémunération de base d’un avocat sur le coût de la vie, mais jamais tenu par les gouvernements successifs. Des outils de gouvernance sont également proposés pour encadrer l’aide juridictionnelle à deux niveaux. Au niveau local (cour d’appel), les avocats seront acteurs d’un Conseil de l’aide juridictionnelle qui définira, en matière d’AJ, une vraie politique relative aux besoins du territoire. Au niveau national, une conférence semestrielle harmonisera les politiques menées dans les différents territoires par les barreaux. Autre point favorable, les barreaux sont incités à développer en leur sein des politiques appropriées à leur territoire, tant pour la définition des besoins que pour la rétribution des avocats, afin de mieux servir le citoyen, mieux rémunérer l’avocat et mieux utiliser l’argent public. Mais le rapport met l’indexation de l’UV– dont il conçoit qu’elle n’a pas été réévaluée depuis 2007 – sous condition que les barreaux acceptent une contribution volontaire de solidarité interbarreaux. Cela avait déjà été proposé dans les discussions, et la profession s’était positionnée unanimement contre. Mais le rapport revient à cette idée. Pire, selon le CNB, le rapport précise que “rien ne sera possible en matière budgétaire tant que cette contribution ne sera pas mise en place”. Ce deuxième point est jugé inacceptable “car c’est une menace qui trahit vraiment l’état d’esprit de la profession”, commente Myriam Picot. Le rapport précise que si cette condition préalable n’était pas remplie, l’Etat ferait sans la profession pour refonder le système d’aide juridictionnelle. “Après les mouvements menés par les barreaux à des degrés divers, tous les mouvements de grève qui ont émaillé le territoire dont notre manifestation nationale de juillet dernier, cette réponse est inentendable (sic) et il faudra le faire savoir. La garde des Sceaux viendra à Montpellier, je ne sais quel sera son discours, mais c’est une proposition que nous ne pouvons accepter”, conclut Myriam Picot.
* A l’heure où ces lignes sont écrites, la teneur du discours de la garde des Sceaux n’est pas connue. A suivre dans nos prochaines éditions.
Les nouveaux usages numériques de la profession
Lors de la Convention nationale des avocats, Alain Bensoussan, avocat au barreau de Paris, est intervenu sur les conséquences du numérique dans la profession. Selon lui, l’avocat sera assisté ou remplacé par des robots, la tendance étant au tout numérique, l’internet des objets et les robots connectés. Un avenir loin de la science-fiction puisque l’avocat parisien a rappelé que fonctionnent déjà des salles binaires, des outils collaboratifs, des automates ainsi que des plateformes d’intermédiation. D’ailleurs, c’est déjà le cas en matière de production journalistique où les résultats sportifs et les dépêches financières sont rédigés par des robots. S’agissant plus précisément du métier d’avocat, Alain Bensoussan explique que le robot “Pepper”, par exemple, peut accueillir et reconnaitre les clients, qu’il apprend, qu’il est basé sur la logique émotionnelle, que ce robot parle 27 langues et qu’il peut trouver la jurisprudence la plus adaptée à la situation du client. Outre-Atlantique, “la façon de fonctionner des avocats ne répond pas aux attentes et besoins du public”, explique William C. Hubbard. Pour le président de l’American Bar Association (ABA), l’une des plus grandes associations volontaires de membres du barreau américain fondée en 1878, “la situation paradoxale aux Etats-Unis, c’est qu’il y a un grand problème d’accès à la justice, avec trop d’avocats et moins d’étudiants en droit.” C’est pourquoi l’ABA a créé une commission chargée de réfléchir à l’avenir des services juridiques avec, pour objectif, de porter un regard neuf sur l’exercice professionnel. Celle-ci a donc récemment conclu un accord avec Rocket Lawyer. Selon l’avocat américain, cette plateforme permet de fournir un service juridique rentable à des petits acteurs.
“Aux Etats-Unis, il n’y a pas de capitaux extérieurs dans les cabinets mais la law firm américaine n’est pas le cabinet d’avocats français en termes de financement et de capital”, explique l’avocat américain. Résultat, les investissements dans la technologie atteignant des montants de plus en plus importants, beaucoup des innovateurs technologiques ne sont pas des avocats. D’où l’apparition de la question de l’ouverture des cabinets aux capitaux extérieurs dans un débat initialement consacré aux outils numériques. Cette ouverture, Alain Bensoussan est contre car ce serait la perte de l’indépendance de l’avocat. Et pour lui, ce sont les avocats eux-mêmes qui doivent innover !