Un chef d’entreprise atypique

Le 15 février, François Marty, président du groupe Chênelet, PDG du groupe SPL, était invité dans le cadre des débats du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) Lille Métropole que préside Laurent Bazin. Le dirigeant a présenté son expérience sur le thème : “Entrepreneur, réinsertion de salariés et rentabilité, c’est possible !”.

François Marty.
François Marty.

 

François Marty.

François Marty.

La Gazette Nord – Pas de Calais, avec KPMG et la Caisse d’Epargne Nord de France et Flandre assurances sont partenaires de ces débats d’idées qui proposent de partager l’expérience d’un dirigeant autour d’un déjeuner.

Atypique, non seulement par son parcours d’autodidacte qui l’a mené au ministère de l’Economie (il a été conseiller du secrétaire d’Etat à l’Economie solidaire, Guy Hascoët, et rédacteur des lois sur l’épargne solidaire et sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif), mais aussi par son franc-parler et ses convictions écologiques de la première heure, François Marty est surtout un chef d’entreprise exigeant. Il est à l’origine de la première entreprise d’insertion en France en 1986. Cet ancien chauffeur routier, aujourd’hui diplômé d’un Executive MBA de HEC, a formé 2 000 personnes en réinsertion et est devenu leader de la filière bois de la région avec la SCOPSPL (Scieries et Palettes du littoral), tout en développant d’autres activités (l’écoconstruction, les jardins biologiques, l’éducation alimentaire) avec Chênelet construction.
Il se raconte sans tabou en répondant – tout aussi librement –aux questions de Christophe Van Rhee, du CJD.

J’ai été élevé dans une communauté catholique. Ce n’était pas une secte puisqu’elle ne recherchait pas la rentabilité. Son but était de lutter contre l’illettrisme grâce à la Bible. Avec ces vieux moines, je ne savais pas que j’apprenais. Avec eux, j’ai appris à apprendre, mais différemment. Car les cancres apprennent autrement, par la vie. Ils n’essaient pas d’être bons partout. D’ailleurs, je suis catholique mais le catholicisme patronal me fatigue.

Comment conciliez-vous l’écologiste et le chef d’entreprise ?
Je suis écologiste (on appelait ça la nature, du temps de mes vieux moines) et adhérent au Medef. Ce n’est pas contradictoire. La nature est une solution, surtout quand elle crée des emplois (il y en a 185 actuellement chez SPL) et qu’on replante des peupliers dans nos forêts de Flandre. C’est aussi une question de diversité des hommes : parmi nos trois cadres, l’un est un ancien facteur d’orgues et l’autre un ingénieur d’Eurotunnel. Et pour finir, c’est encore une question de conviction. Quand nous avons voulu créer SPL, nous avions eu l’idée de nous servir de l’existant, et donc de faire des palettes avec du bois de peuplier. Ce ne se faisait plus du tout à l’époque. Nous sommes allé au salon de Hanovre pour rencontrer les fabricants de colle allemands spécialisés sur ce secteur. L’un d’entre eux a été amusé par notre projet dont il pensait qu’il n’aboutirait pas. Il nous a donné gratuitement la formule de la colle pour bois de peuplier. Et nous avons pu remettre en activité un savoir-faire oublié. Avec un produit nouveau (qui a d’ailleurs fait l’objet de mon mémoire de fin d’études du CPA) : la création de palette hors gabarit pour papetier et leur livraison en moins de 24 heures, dans un rayon entre Birmingham et Grenoble.

Comment peut-on être une SCOP avec près de 200 salariés ?
Avec 180 salariés, nous sommes la plus grosse SCOP de France ; 50 salariés sont associés de la SCOP, dont 20 sont issus de parcours d’insertion. Nous avons formé 2 300 personnes depuis 20 ans, dont plus de la moitié a aujourd’hui intégré le marché du travail et contribué à redynamiser les emplois locaux. La SCOP est une SA classique, mais sans ses défauts. La différence est que je suis élu par les salariés pour la diriger. Nous avons aussi nos délégués du personnel mais ils ne prennent que 27 heures 30 par an pour leur mission de syndicalistes. Ils ont surtout l’avantage d’impliquer les salariés dans l’entreprise. La SCOP ne met plus en opposition l’économie et l’entreprise car, au-delà de la performance, elle redonne une place à l’homme. La politique salariale en est un exemple : il y a seulement trois niveaux hiérarchiques chez nous. Je ne comprends pas les écarts de salaires incroyables qui peuvent exister ailleurs. Et les femmes sont autant payées que les hommes, même si elles ne travaillent que quatre jours sur cinq. Parce qu’avec moins de temps, elles vont à l’essentiel. La décision a été prise à l’unanimité le 1er septembre dernier.
J’estime que l’argent n’est pas un but en soi, même s’il permet de faire des révolutions technologiques et d’avancer. En tout cas, en ce qui me concerne ce n’est pas l’argent qui peut me motiver.Mais je n’oblige personne à penser comme moi ! Et je trouve qu’on ne parle pas assez de ces chefs de petites entreprises qui ne se paient pas quand il faut pouvoir assurer le salaire de leurs salariés à la fin du mois.

Quel est la recette pour gérer du personnel en insertion ?
Le catholique que je suis devient protestant quand il s’agit de parler du travail : à l’image de l’ouvrier qui souffre sur sa machine pour gagner son pain,je préfère celle du salarié qui cherche l’excellence personnelle par le travail bien fait et qui peut être amené à gagner plus que l’ingénieur. L’un des premiers facteurs clés de notre succès tient à nos loubards qu’on embauche pour être chauffeurs de camion. Ils sont stressés par ces responsabilités mais ils font un métier rêvé par les gosses, comme j’ai pu l’être. Et ça marche ! Mais ce ne sont pas des salariés comme les autres quand même. Il faut savoir leur rendre le métier sympa et rapide à apprendre. J’ai eu ce problème avec les machines à scier les troncs d’arbre. Pour apprendre à s’en servir en trois jours, j’ai eu l’idée de faire installer des joysticks de Game Boy à la place des commandes. Nos gars comprennent tout de suite ! Nous sommes en train de systématiser ce pilotage sur toutes nos machines. En fait, c’est le travail qui vient à l’homme. Je pense que l’humanisme se doit de viser une certaine efficacité.

Quels sont vos projets actuellement ?
Le Chênelet est en train de développer une gamme de bungalows écologiques, passifs, confortables et pas chers, construits à l’image des cabanons de chantier que j’ai pu voir en Finlande. L’idée est d’en faire du logement social hyperclasse. Pour le développer, nous avons créé un modèle économique qui n’existe pas : nous sommes devenus notre propre client en ouvrant une société foncière de logements sociaux dont nous détenons 35% du capital – non rémunéré –, le reste étant distribué entre plusieurs actionnaires investisseurs. Pour l’instant, nous avons 145 maisons en commande, pour la commune d’Oloron- Sainte-Marie et ailleurs en France. Mais “construire” pour le social, ce n’est pas seulement travailler avec des entreprises en insertion, c’est aussi suivre les familles qui vont habiter les logements et les aider dans leur quotidien. Ces gens ont perdu l’habitude de faire le ménage, ou d’éteindre la lumière quand ils sortent d’une pièce. Ils ont besoin d’une éducation “populaire”, très différente de celle qu’on délivre au cours de la scolarité. Il s’agit là de la noblesse de l’homme face à l’animal. A notre demande, Schneider met au point, avec Viselia, un iPad qui explique très clairement comment prévoir sa consommation d’électricité chaque mois en euros : là, au moins, c’est compréhensible. C’est une aide à l’éducation efficace. Parfois, il faudrait aussi éduquer certains patrons ! Quand la performance entraîne la déshumanisation, c’est le contraire de la performance. Il faudrait se poser de temps en temps la question de savoir à quoi ça sert d’être PDG. N’est-on rien si on n’est pas le numéro 1 ? Je n’ai pas de leçons à donner. Mais c’est une façon de lancer le dialogue.