Un après-midi au Conseil des prud'hommes
Le Conseil des prud'hommes est un lieu incontournable pour délier les problèmes dans le monde de l'entreprise malgré la baisse de 8,7% d'affaires nouvelles enregistrées en France.
Ce mardi après-midi, avocats, plaignants, délégués syndicaux discutent bruyamment dans la petite salle au 1er étage de l’espace Lamartine à Amiens. « C’est le bazar aujourd’hui », note Annie Miellé-Corman, avocate au barreau d’Amiens, habituée du Conseil des prud’hommes. Tous attendent l’arrivée des conseillers prud’homaux dans cette pièce qui, comme un rappel, affiche sur son mur la frise chronologique “Le monde du travail à travers les timbres-poste”. Les regards sont fuyants. Les avocats, vêtus de leur robe, sont quant à eux dans leur élément. « On est une petite bande. L’ambiance est différente de celle du Palais », sourit l’avocate. Cette Amiénoise d’adoption n’en est pas à ses premiers jours. Voilà 35 ans qu’elle officie dans l’ex-capitale picarde. Soudain, elle se tait. Elle se tourne et se tient bien droite face à l’estrade. Dans la salle, les mines de la trentaine de personnes présentes se referment. Celles qui sont assises se lèvent. Les quatre conseillers arrivent, habillés en civil. À leur cou, une énorme médaille en argent tenue par un ruban rouge et bleu. Ils sont accompagnés d’un greffier et d’une stagiaire. « Ce ne sont pas des magistrats. Ils ne portent donc pas la robe », murmure après coup Annie Miellé-Corman dans le couloir qui jouxte la salle d’audience.
Traiter avant de plaider
« Asseyez-vous », lache la présidente à son auditoire silencieux. Cette semaine, la représentante élue salariée préside la section activités diverses du Conseil des prud’hommes. « Les élus salariés et employeurs tournent à tour de rôle pour présider », précise Annie Miellé-Corman. L’assistance se rassoit. Le greffier sur la droite de la salle prend la parole. Il va énoncer les affaires du jour une à une. « On plaide ! », « On ne plaide pas ! », fusent à chaque dossier évoqué. Le brouhaha est revenu. Plusieurs fois la présidente répète à qui veut l’entendre : « S’il vous plaît. Moins fort ! » Les gens rentrent et sortent de la pièce. Les minutes passent et la salle se vide petit à petit. Les renvois fermes sont prononcés. Les nouvelles dates sont fixées. Un délégué syndical s’emporte lorsque le greffier lui fait remarquer l’absence d’une pièce : « Je vous l’ai donnée. Pour cette affaire, je ne peux pas. Je n’ai pas reçu la convocation ! » Petit à petit la pile de dossiers s’étiole. Tout vient d’être énoncé. Les deux représentants salariés et les deux employeurs se retirent. Quelques minutes plus tard, ils réinvestissent la salle. Le même petit scénario est rejoué. Tout le monde se lève puis se rassoit à la demande de la présidente. Le nombre de personnes présentes se réduit à peau de chagrin. Les avocats sont même plus nombreux que les personnes assises dans le public.
Discrimination salariale
Une affaire passe. Puis une seconde. Une sombre histoire de discrimination salariale entre deux femmes contre une association amiénoise. Elles sont chacune représentées par une avocate différente. Le bureau de conciliation et d’orientation n’a pas réussi à rapprocher les parties. L’avocate de la première plaignante se lance. La défense lui répond. Puis vient le tour d’Annie Miellé-Corman. Elle s’avance vers le pupitre. Ouvre son dossier tranquillement avec la sérénité d’un boxeur qui monte sur le ring. Elle commence par exposer les faits. Elle balance ses premiers coups comme dans un combat de boxe. Pendant ce temps, les conseillers prennent des notes, écoutent attentivement et feuillettent le dossier fourni par l’avocate. « J’ai rendu mes conclusions, mes notes de plaidoiries avec des tableaux et toutes les jurisprudences à l’intérieur », sourit, fière de son coup, l’avocate après sa prestation. Juste avant son passage, sa cliente s’est rapprochée du premier rang comme pour mieux voir la scène qui se déroule sous ses yeux. L’avocate énonce un à un les griefs reprochés à son adversaire. Elle bouge les mains, hausse le ton comme pour appuyer les coups qui font mal. « Vous n’avez pas d’explications logiques. Vous avez payé les femmes moins que les hommes. Point barre ! », lache-t-elle. L’avocate adverse baisse la tête pendant ce temps. Fouille dans ses notes, relit son dossier de manière précipitée. Ses yeux ne se relèvent pas. Le sourire commence à revenir sur le visage de la plaignante. Jusqu’au moment où Annie Miellé-Corman termine son temps de parole par un : « Pour l’ensemble, c’est 8 000 euros. Les bons comptes font les bons amis. » La partie adverse est sonnée.
La présidente reste sans voix et souffle un petit : « Merci… » C’est alors le tour de sa contradictrice. Elle relève timidement la tête. « Si j’ai bien compris, il y a une inégalité salariale entre les sexes. Mais la personne qui a remplacé Madame a touché plus et était aussi une femme. Je ne vois pas où est l’inégalité entre sexes », tentet-elle d’avancer sans contredire l’écart entre les deux salaires. Pour répondre aux autres interrogations, elle invoque l’absence de pièces ou avoue ne pas pouvoir répondre à ces questions comme à certaines des conseillers. À première vue, réponse ne semble pas avoir été la hauteur des coups portés. Cependant, pour connaître le vainqueur, faudra attendre la mise à disposition le 19 avril. Ce n’est qu’ensuite que les parties pourront faire appel être recues par quatre conseillers prud’homaux et un juge départiteur. Un magistrat en robe cette fois. En attendant, la vie peut reprendre son cours pas si tranquille dans la petite salle du 1er étage de l’espace Lamartine.
Alexandre BARLOT