Ukraine : Macron remonte en première ligne, non sans risques
En 2022, il ne voulait pas "humilier" la Russie, deux ans plus tard il veut l'empêcher de "gagner" la guerre : en changeant radicalement de posture jusqu'à agiter le spectre d'un envoi de troupes au sol, Emmanuel Macron tente de reprendre l'initiative dans le...
En 2022, il ne voulait pas "humilier" la Russie, deux ans plus tard il veut l'empêcher de "gagner" la guerre : en changeant radicalement de posture jusqu'à agiter le spectre d'un envoi de troupes au sol, Emmanuel Macron tente de reprendre l'initiative dans le conflit ukrainien, au risque de se retrouver bien seul.
"En dynamique, rien ne doit être exclu", a-t-il lancé lundi soir, interrogé sur la possibilité d'un tel envoi, à l'issue d'une réunion avec ses homologues européens à l'Elysée, tout en reconnaissant l'absence de "consensus" sur le sujet et en assumant une certaine "ambiguïté stratégique".
Une façon pour le président français de se poser de nouveau en leader, en mettant les pieds dans le plat comme il l'avait fait en évoquant la "mort cérébrale" de l'Otan.
Ou comme lorsqu'il avait continué à dialoguer avec le maître du Kremlin Vladimir Poutine après le déclenchement de l'offensive russe en février 2022 en Ukraine, malgré une incompréhension croissante dans le camp occidental.
La réponse ne s'est en tout pas fait attendre du côté de Berlin, principal partenaire de la France. "Aucun soldat ne sera envoyé" ni par les Etats européens, ni par ceux de l'Otan, a martelé mardi le chancelier Olaf Scholz. Plusieurs alliés européens ont émis les mêmes réserves.
Emmanuel Macron veut "faire monter les enjeux et le rôle de la France pour avoir un siège à la table de la redéfinition des équilibres de la sécurité européenne", estime un diplomate d'un autre pays allié devant ce nouveau cavalier seul français.
Double message
Au final, avec cette annonce intempestive à l'issue d'une réunion rapidement organisée, le chef de l'Etat risque de nouveau d'arriver à l'effet inverse de celui qui était recherché, quel que soit le bien-fondé de sa démarche.
"C'était un message adressé à la Russie, une manière de signaler qu’il n'y a pas de fatigue et que les Européens ne baisseront pas les bras" dans leur soutien à l'Ukraine alors que la guerre entre dans sa troisième année, décrypte Marie Dumoulin, experte à l'ECFR (Conseil européen pour les relations extérieures).
Russes comme Européens, tous ont en tête le gel de l'aide américaine, bloquée par les Républicains au Congrès, qui hypothèque lourdement les Ukrainiens, déjà en difficulté sur le terrain, et la possible réélection de Donald Trump qui pourrait être lourde de conséquences sur l'issue du conflit.
Le président Macron a aussi voulu dire aux opinions publiques européennes : "si on ne veut pas en arriver à l'envoi de troupes, il faut renforcer le soutien (en armes) maintenant", poursuit la chercheuse de l'ECFR. Mais le débat risque d'être "contreproductif", dit-elle.
Pour Cyrille Bret, de l'Institut de recherche européen Jacques Delors, il "laisse planer l’ambiguïté stratégique, le doute" sur la possibilité d'un tel envoi afin de "dissuader par avance toute progression russe trop prononcée en Ukraine" à l'approche de la double présidentielle russe en mars et américaine en novembre.
Faux débat
Du point de vue russe, "il faut qu’au printemps ils aient pu récupérer un peu de terrain pour commencer à négocier au moment des élections américaines", anticipe une source diplomatique française.
Avec ce "changement de doctrine radical", "le président français brise un tabou" mais risque aussi de déclencher un débat qui lui échappe en Europe quand il s'agira de savoir "qui est prêt à mourir pour l'Ukraine", poursuit Cyrille Bret.
"Il y a un vrai virage stratégique dont la réalisation, la matérialisation, le sérieux dans la durée restent à démontrer", avertit le chercheur.
Pour Michael Roth, chef de la commission des Affaires étrangères au Bundestag (chambre basse du Parlement allemand), l'envoi de soldats est un "faux débat". "Je ne connais personne qui le veuille sérieusement, même pas en Ukraine. Ils ont surtout besoin de munitions, de défense aérienne, de drones, d'armes à longue portée", dit-il.
"Napoléon disait on s’engage et puis on voit", renchérit François Heisbourg, conseiller à l'International Institute for Strategic Studies (IISS), à Londres.
"L'ambiguïté c'est jouer pour dissuader un adversaire. Mais là, Emmanuel Macron a surtout semé la confusion chez nos partenaires", poursuit-il. Et tout ce qui donne "l'impression de désordre est bon à prendre pour les propagandistes russes et prorusses", met-il en garde.
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