UE : le Sud en perdition
Les pays du Sud ont beaucoup souffert quand la crise s’est déclarée. Ils souffrent plus encore maintenant que la Troïka s’est installée à leur chevet. Pourtant, le traitement débilitant se poursuit avec constance. Au moins jusqu’au terme des élections allemandes, qui pourrait décider d’une nouvelle règle du jeu.
La crise vient d’ajouter deux nouvelles victimes aux 18% de Portugais qui sont déjà au chômage : d’abord Vitor Gaspar, le ministre des Finances, numéro deux du gouvernement et chef d’orchestre de la cure d’austérité qui est infligée au pays. Bien que chouchou de la Troïka pour le respect rigoureux du plan qui lui a été imposé, Gaspar a démissionné. Entendons par là qu’il a été éconduit : certes, sa cote demeure avantageuse à Bruxelles, mais elle s’est effondrée sur le marché de Lisbonne. Ensuite Paulo Portas, le collègue du précédent aux Affaires étrangères, sidéré que le portefeuille des Finances ait été immédiatement attribué à Maria Luis Albuquerque, ci-devant Secrétaire d’Etat au Trésor et jusqu’à ce jour parfaitement en ligne avec la stratégie d’austérité. Du reste, la Commission a salué la « transition homogène » à ce poste clef, confirmant ainsi que l’exaspération de la population portugaise ne saurait lui épargner la paille de fer.
Pourtant, tout le monde est conscient des limites de l’exercice : la récession se poursuit pour la troisième année consécutive ; les déficits publics enfoncent les prévisions les plus sombres et de ce fait, la dette continue de s’envoler. Avec pour conséquence une forte tension des taux sur les emprunts d’Etat, en dépit du « succès » remarqué de l’émission du mois de mai, aisément souscrite : les banques locales sont suspectes d’avoir aimablement ramassé ce papier avec un rendement de 5,65%, lequel dépasse 8% maintenant que des ministres éminents ont quitté le navire. Souhaitons aux banques lisboètes d’avoir eu la prudence de refiler leur papier à la BCE, afin de ne pas pourrir davantage des bilans déjà peu reluisants.
Acharnement thérapeutique
Le voisin espagnol n’est guère mieux loti en matière bancaire. Après avoir dégradé 28 établissements le mois dernier, Moody’s vient de propulser trois banques (nationalisées) en catégorie « hautement spéculative » (de B1 à B3), et pas les moindres : Bankia, Catalunya Banc (anciennement Catalunya- Caixa) et NovaCaixaGalicia – dégradation avec perspective négative, de surcroît (la note suivante correspond à « extrêmement spéculatif », un état qui requiert l’extrême-onction). Pourtant, ces banques ont déjà reçu une forte perfusion de fonds gouvernementaux (plus de 41 milliards d’euros) et se sont délestées de créances toxiques dans une bad bank publique. Mais le système financier espagnol est totalement gangrené par l’éclatement de la bulle immobilière, avec des effets dévastateurs dont personne ne peut augurer l’issue. Le feuilleton ininterrompu des expulsions sans ménagements et l’explosion du chômage ne laissent guère présager de lendemains heureux en Espagne, candidate, comme le Portugal, à un nouveau plan de “sauvetage”. Sur un schéma déjà expérimenté en Grèce, qui connaît une situation proche du désespoir. Et sur un schéma que l’Italie s’apprête à expérimenter, en dépit de l’action prétendument miraculeuse de Mario Monti (depuis lors prudemment retranché dans ses foyers).
Bref, tous les Etats malades ayant suivi l’ordonnance de la Troïka, avec une discipline plus ou moins rigoureuse, se trouvent aujourd’hui proches de la catalepsie. Depuis qu’ils sont entrés en soins intensifs, leur niveau d’endettement s’est encore accru, les taux ont explosé et la récession s’est fermement installée, rendant encore plus improbable le retour prochain à meilleure fortune. Le staff médical tient-il compte de son échec pour adapter le traitement ? Pas le moins du monde. L’expérience se poursuit avec opiniâtreté ; seul le FMI émet des doutes récurrents sur le pertinence de la stratégie suivie, mais ne modifie pas pour autant ses prescriptions. Il en résulte que les échéanciers fixant les objectifs à atteindre, et qui conditionnent les plans de sauvetage, n’ont strictement aucune chance d’être respectés. La Troïka a beau renforcer sa pression, exiger davantage de sacrifices des populations, accélérer la braderie des actifs publics, intervenir sans vergogne dans la vie politique interne, la dégradation se poursuit. Si bien que la Commission européenne, adoptant la posture d’un juge souverain et bienveillant, vient de décréter que les calendriers pourraient être réaménagés – la France en a déjà bénéficié – et que le calcul des déficits pourrait subir des aménagements. En somme, faute de pouvoir vaincre la fièvre, on s’apprête à casser le thermomètre. L’idée, déjà émise de longue date par l’Italie, serait de ne pas comptabiliser dans le déficit certaines dépenses d’investissement, notamment la quotepart nationale dans le cofinancement des aides structurelles européennes. Car il s’agit là d’un “bon” déficit, d’une dette honorable. L’Italie était déjà spécialiste du maquillage comptable, mais au moyen d’une technique rudimentaire : le pays s’abstenait tout simplement de payer ses factures. Au point de laisser traîner des ardoises monstrueuses auprès de nombreuses entreprises, qui ont toutes les peines du monde à se refinancer auprès des banques. Et qui se trouvent de ce fait grandement fragilisées, comme en témoigne la forte hausse des faillites de petites et moyennes entreprises. La proposition bruxelloise d’instaurer une double comptabilité publique permettrait ainsi de mettre un peu de fard sur la pêche des statistiques nationales. De prolonger un tantinet la représentation. Encore que désormais, le rideau ne tardera pas à tomber. Aujourd’hui, les élections allemandes de septembre paralysent toute initiative significative. Au-delà de cette échéance, on pourra commencer à balayer sous les tapis. Mais il n’est pas certain que le grand ménage à venir favorise le retour à la sérénité…