Très hauts débits en France : l’objectif 100% fibre à fin 2025 est intenable

Sauf miracle, il sera impossible d’atteindre l’objectif du président Macron à fin 2025 : rendre 100% des locaux « éligibles » à la fibre optique. Près de 5 millions - résidences et entreprises - pourraient rester au bord de l’autoroute des très hauts débits pour plusieurs années. Suite à des coupes budgétaires, la motivation économique manque pour les derniers raccordements, plus complexes et plus coûteux.

(c) adobestock
(c) adobestock

Au vu des chiffres du troisième trimestre 2024 publiés en décembre par l’Arcep - autorité indépendante des télécoms, - l’objectif « 100% des très hauts débits en fibre optique à la fin 2025 » n’est plus d’actualité. Certes, un seuil important a été franchi : 91% des abonnements Internet « à très haut débit » sont aujourd’hui sur la fibre (FTTH). Le nombre d’abonnements Internet « à haut et très haut débit » s’élevait à 32,5 millions fin septembre. Et près de 40 millions de locaux étaient « éligibles » à la fibre optique, sur les 44,5 millions recensés sur le territoire. Il reste donc au moins 4,5 millions de foyers (et plus de 5 millions de locaux) qui ne sont toujours pas « raccordables » à la fibre en France, donc contraints d’utiliser encore le réseau cuivre avec une box xDSL, voire un accès radio (4G/5G ou satellite).

En termes de nombre de foyers effectivement abonnés (et non pas seulement éligibles ou raccordés), la France n’a fait que rattraper le Portugal, l’Espagne, la Lettonie ou la Roumanie…

Le point regrettable est que la croissance des déploiements se tasse depuis 2021 : au troisième trimestre 2024, le pays a enregistré 3 millions d’abonnements supplémentaires à la fibre optique sur un an, alors qu’on était à 3,4 millions en 2023 et 3,7 millions en 2022.

Toujours deux zones en souffrance

Ce tassement du rythme des raccordements est dû en partie à la complexité technique des raccordements restants (terrain accidenté, éloigné, etc.). Rappelons que le pays est divisé en deux zones : les zones très denses (urbaines) sont économiquement attractives et motivent les opérateurs. Cela ne concerne plus que 500 000 foyers. Et les zones moins denses en population (rurales) qui subissent des coûts de raccordements plus élevés, ce qui a conduit à mutualiser les infrastructures. Elles ont été classées en deux catégories : les zones privatisées, appelées AMII (Appel à manifestation d'intention d'investissement) ou parfois AMEL (Appel à manifestation d'engagements locaux). Des opérateurs d’infrastructures y déploient leur propre réseau fibre. Cela concerne environ 17 millions de locaux raccordables à la fibre. L’autre catégorie des « moins denses » est celle des réseaux publics dits RIP (Réseau d'initiative publique), moins attractifs, nécessitant des appels d’offres des collectivités locales, avec divers soutiens financiers : totalisant environ 16 millions de raccordements, ils sont déployés par des opérateurs d'infrastructures comme Altitude, Axione, Covage... On l’a compris : c’est là que se concentrent les rattrapages à faire. Ainsi, 25% des foyers en zones RIP n'ont pas accès à la fibre.

Des territoires toujours défavorisés

De fait, ces zones rurales endurent une complexité et un surcoût des raccordements croissants à mesure qu’on se rapproche des derniers points - les plus disparates, les plus isolés. Le coût serait d’un milliard d’euros pour environ 4 millions de locaux en attente sur les territoires, avec de grandes disparités entre communes, entre départements.

L’Arcep veille au grain. En novembre 2023, elle a infligé une amende de 26 M€ à Orange pour manquement à ses engagements. Les lignes ont, depuis, heureusement bougé : 96 % des locaux de communes sous la responsabilité de SFR sont aujourd’hui raccordables à la fibre, contre 91% pour Orange. A ce jour, l’ex-France Télécom peut raccorder 38,7 millions de foyers à la fibre (FTTH), avec 8,4 millions d’abonnés.

Free (Iliad), en capacité de raccorder également 38 millions de foyers, compte près de 5,5 millions d'abonnés fibre - et coopère avec Covage pour les infrastructures de zones peu denses. SFR, le seul à mixer fibre (FTTH) et câble coaxial (FTTLA), recense aussi 38 millions de locaux éligibles à la fibre, avec 4,8 millions d’abonnés au « très haut débit ». La couverture de raccordement est sensiblement identique chez Bouygues Telecom, pour 3,7 millions d’abonnés à sa Bbox fibre.

Les limites de « l’autorégulation »

A qui et à quoi imputer le tassement des déploiements ? Aux finances publiques, pour partie. Début 2024, le ministère des Finances a supprimé 154,6 M€ de dotations en faveur de la fibre. Ce fut, selon Orange, 300 000 accès à la fibre en moins, et selon l'association des maires de France (AMF), 40% de financement en moins pour le plan « France Très Haut Débit ». Selon l’association Avicca (communications électroniques et audiovisuel des villes et collectivités), le coup fut très dur pour les réseaux d'initiative publique (RIP).

Sans soutien, les opérateurs sont peu enclins à investir dans les zones à faible densité. Ils invoquent problèmes techniques et surcoûts. L’association AFUTT (défense des utilisateurs télécom et Internet) l’entend bien, mais s’inquiète aussi d’une dégradation de la qualité de service sur le réseau fibre. Elle constate qu’opérateurs commerciaux et opérateurs d’infrastructure communiquent mal et se renvoient souvent la balle. L’autorégulation chère à l’Arcep a ses limites. Certains opérateurs d’infrastructure régionaux (Axione, Altitude…) ne se sentent pas suffisamment soutenus.

Les associations de défense des professionnels déplorent également le coût trop élevé de l’offre de service aux entreprises (FFTO) ; elles sont contraintes de revenir à l’offre aux particuliers (FTTH).

« Couvrir n’est pas servir », répète l’AFUTT qui préconise de prioriser la centaine de projets FTTH qui posent problème en désignant tel et tel opérateur. « Il faut aussi solutionner les dysfonctionnements en séparant bien déploiement, installation et exploitation ».

Pierre MANGIN