Transport gratuit dans le bassin minier : la mesure sera-t-elle efficace ?

Les agglomérations de Lens-Liévin et Hénin-Carvin dès janvier, puis Béthune-Bruay, mettront en place la gratuité des transports en commun. Une solution visant à réduire la circulation et à faciliter le retour à l’emploi. Mais certains experts mettent en garde : cela sera inefficace en l’absence de mesures complémentaires.

© SCoT / LLHC
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L’opération va prendre 12 mois. En janvier 2025, les agglomérations de Lens-Liévin et Hénin-Carvin basculent dans la gratuité totale du réseau TADAO. Elles seront rejointes en janvier 2026 par celle de Béthune-Bruay, soit 150 communes et 650 000 habitants sur près de 1 000 km2. Ce sera le plus grand territoire français à bénéficier d’une telle mesure. Une des motivations premières est de réduire le chômage local, comme le souligne René Hocq, conseiller départemental (62) vice-président en charge de l’insertion : «Le Pas-de-Calais compte 45 000 bénéficiaires du RSA, Revenu de solidarité active, 70% d’entre eux ont un problème de mobilité, 50% n’ont pas le permis. Le premier frein au retour à l’emploi est bien la mobilité». 

Réduction de la vitesse, places de parking et voies réservées aux bus ?

L’autre volet de la mesure est la réduction du trafic automobile et ses nuisances. Mais pour Frédéric Héran, maître de conférence à l’Université Lille I, lors d’un colloque sur la mobilité durable et inclusive le 28 novembre dernier au Louvre-Lens, «cette mesure sera inefficace si elle n’est pas associée à des solutions plus impopulaires qui s’attaquent à la source du problème comme la réduction de la vitesse, du nombre de places de parking ou la création de voies réservées aux bus». Une manière d’appeler à une cohérence de la politique de déplacement avec des mesures incitatives et contraignantes. Ainsi, selon lui, réduire la vitesse de 130 à 110 km/h permettrait de réduire de 16% l’émission de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique. À l’inverse, l’Écobonus de la MEL qui incite les conducteurs à ne pas circuler aux heures de pointe, ne sert à rien car ils sont immédiatement remplacés par d’autres conducteurs.

Colloque sur la mobilité durable et inclusive le 28/11/24 au Louvre-Lens, en présence de Frédéric Héran maître de conférence à l’Université de Lille 1, Laurent Mahieu directeur régional Transdev Grand-Est et Hauts-de-France, Philippe Poinsot membre du Comité scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit, Christophe Pilch président de la communauté d’agglomération d’Hénin Carvin Crédit Anne Henry
Colloque sur la mobilité durable et inclusive le 28/11/24 au Louvre-Lens, en présence de Frédéric Héran maître de conférence à l’Université de Lille 1, Laurent Mahieu directeur régional Transdev Grand-Est et Hauts-de-France, Philippe Poinsot membre du comité scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit, Christophe Pilch président de la communauté d’agglomération d’Hénin-Carvin. © Anne Henry

Inspiration dunkerquoise

Cette politique de gratuité des transports publics n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 60, des villes de taille moyenne la mettaient en place. Puis dans les années 2010, on change d’échelle avec des agglomérations comme Dunkerque (2018) qui opte pour la gratuité totale tandis que Calais, Montpellier, Châteauroux ou Nantes préfèrent une gratuité partielle (uniquement pour les habitants de la ville ou la métropole) avec plus ou moins de succès.

Laurent Mahieu, directeur régional Transdev Grand-Est et Hauts-de-France a accompagné la mise en place de la gratuité dans la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD), associée à une refonte du système de transport. Il se souvient : «Le réseau était alors vieillissant. Le nouveau maire et président de la CUD Patrice Vergriete souhaite alors en 2014 mettre en place un système performant de transport, avec un choc de l’offre avec plus de lignes, d’arrêts et d’amplitudes horaires, un choc de la demande avec la gratuité et un choc d’image avec des bus colorés». Cela passe aussi par des véhicules plus propres, équipés de wifi, proposant des horaires spécifiques pour l’été, avec une application pour permettre aux usagers de signaler toute dégradation.

Une gratuité attractive

Si les chercheurs regrettent l’absence d’enquêtes exhaustives sur l’efficacité du report modal à Dunkerque sept ans après la mise en place du dispositif, l’opérateur Transdev partage tout de même une enquête menée par ses services internes : «On note sur la période d’exploitation une hausse de l‘utilisation du bus de 35%, contre 28% dans une métropole de même taille sans gratuité, un recul de l’utilisation de la voiture pour 54% des personnes interrogées contre 58% et une hausse de l’utilisation d’autres modes de la mobilité comme le vélo, la trottinette ou le covoiturage».  Et de poursuivre que 72% de automobilistes qui prennent le bus y viennent car c’est gratuit, 8% d’entre eux ont renoncé à une voiture dans le ménage et un tiers vont le faire. Les experts constatent d’ailleurs que la gratuité enlève souvent une barrière tarifaire mais aussi psychologique. À Dunkerque, des populations en précarité qui pouvaient déjà bénéficier de la gratuité avant le nouveau dispositif, prennent aujourd’hui davantage les transports publics car il n’y a plus de dossier administratif à faire.

Crédit Artois mobilités
Crédit Artois mobilités

Ticket d'entrée à 10 millions d'euros

Financièrement, la mesure a un coût. Pour le chercheur lillois Philippe Poinsot, membre du comité scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit, économiste des transports, «il y a certes une perte de recettes. Mais rappelons qu’en moyenne, les usagers ne payent que 17% du prix réel, et parfois moins lorsqu’il y a une prise en charge par l’employeur. Et la démarche induit aussi des gains, avec la fin du système billétique».

Du côté du bassin minier, les agglomérations de Lens-Liévin et Hénin-Carvin vont prendre en charge le coût des abonnements TADAO de leurs habitants respectifs. Les demandes d’abonnement 2025 sont ouvertes depuis le 4 novembre dernier. Déjà plus de 12 000 demandes ont été faites. La validation dans les bus restera obligatoire en 2025. Au 1er janvier 2026, plus aucun titre ne sera nécessaire pour emprunter les transports en commun. Cette gratuité a un coût initial de 10 millions d'euros (démontage du système de billettique et montage d’un système de cellules compteuses dans les véhicules pour suivre la fréquentation du réseau), puis un coût annuel de 10 millions pour les trois agglomérations membres d’Artois Mobilités. Si l’argent a été mobilisé, les trois présidents d’agglomération ont demandé également à Artois Mobilité d’améliorer le service et les dessertes.