Conjoncture

Tourisme : où sont passés les saisonniers ?

Les professionnels décrivent une saison touristique exceptionnelle. Pour la première fois depuis trois ans, les voyages sont possibles presque sans restriction, et en plus il fait beau. Mais le secteur se heurte à un manque inattendu : la force de travail des salariés saisonniers.

© : Olivier Razemon pour DSI Après deux ans de restrictions liées à la pandémie, les touristes sont de retour,  ici, en descendant d'un bateau sur le lac de Garde, en Italie, cet été.
© : Olivier Razemon pour DSI Après deux ans de restrictions liées à la pandémie, les touristes sont de retour, ici, en descendant d'un bateau sur le lac de Garde, en Italie, cet été.

«Prévenez-moi de l’heure à laquelle vous passerez, car nous n’avons pas beaucoup de personnel et je dois venir exprès au magasin pour vous louer le vélo.» Cette agence de location située à Stuttgart, en Allemagne, a dû réduire son activité «en raison des difficultés de recrutement, qui s’ajoutent à plusieurs cas de Covid», expliquait sa gérante, en juillet. Un couple de Français, qui a l’habitude de séjourner à Ibiza chaque été, a pris les devants. «Dès le début du mois de juillet, nous avons réservé les restaurants où nous souhaitons dîner, pour être certains d’avoir une place lors de notre séjour prévu les deux dernières semaines d’août», assurent-ils, en plaisantant : «Nous ne réservons pas encore les restaurants de plage, mais ça viendra peut-être.» À Nimègue, aux Pays-Bas, ou à Salzbourg, en Autriche, des affichettes apposées sur de nombreuses vitrines confirment que la tendance est européenne : «on recrute des employés.» Après deux ans de restrictions liées à la pandémie, les touristes sont de retour, mais les bras manquent pour les servir. Serveurs, réceptionnistes, marchands de glace, cuisiniers, guides, animateurs, vendeurs, ces métiers sont indispensables aux plaisirs estivaux tout en demeurant en partie soumis à la saisonnalité de l’activité. L’industrie du tourisme n’est pas la seule concernée. Dans les régions viticoles, on s’inquiétait dès le mois de juin de ne pas trouver suffisamment de vendangeurs fin août, tandis que les propriétaires de vergers du Maine-et-Loire lancent déjà des appels pour recruter des cueilleurs de pommes.


«Job dating» villageois

La baisse du chômage, accélérée depuis la pandémie, a des conséquences notables dans l’hôtellerie et la restauration. Le constat est connu. En 2020 et 2021, la Covid a renvoyé tous les salariés du secteur à la maison pendant plusieurs mois, mais les aides publiques octroyées à leurs employeurs n’ont pas suffi à les ramener au travail. Une partie des employés sollicités lors des pics saisonniers ont fini par se tourner vers d’autres métiers, mieux protégés et moins stressants. Dans les palaces de la Côte d’Azur, ou dans les restaurants du nord de la Bretagne, les employeurs puisent dans une main-d’œuvre qu’ils jugent providentielle : les réfugiés ukrainiens. Depuis la fin juin, la presse régionale diffuse de nombreux témoignages de patrons de campings ou de restaurateurs, qui racontent leurs vaines recherches sur les réseaux sociaux LinkedIn ou Facebook, le site Leboncoin, les «job dating» villageois, les agences d’intérim polonaises ou les annonces laissées à la boulangerie du camping. Cette couverture médiatique fait toutefois réagir Sébastien Marrec, chercheur en urbanisme. «Le sujet est systématiquement traité du point de vue des employeurs, qui seraient tous de bonne volonté, tandis que les salariés ne voudraient plus bosser», déplore-t-il. Au cours d’étés passés dans la viticulture et la restauration, il dit avoir rencontré «beaucoup d’employeurs méprisants.» L’ancien saisonnier raconte les «cris, menaces, brimades, ainsi que le sexisme ordinaire des chefs, qui sont presque exclusivement des hommes.» Et «tout cela s’ajoute à la pression, car le client est roi, y compris lorsqu’il est hyper capricieux.»


Réforme de l’assurance chômage

Alors que les salariés ne servent que quelques semaines et ne reviendront pas l’année suivante, le droit du travail fait parfois figure d’option. Sébastien Marrec raconte «les pauses non-payées, la non-majoration des heures de nuit, les heures supplémentaires oubliées.» Il insiste : si le travail saisonnier n’est plus aussi attractif, ce n’est pas tant à cause des salaires médiocres qu’en raison «du manque de respect, et de cette hiérarchie violente au quotidien.» Le syndicat Force ouvrière assure que la réforme de l’assurance-chômage, entrée en vigueur en octobre 2021, aggraverait la situation des saisonniers. En effet, il ne suffit plus de travailler quatre mois pour bénéficier des droits, mais six. La mesure, qui doit, selon le gouvernement, décourager les allers et retours entre périodes d’activité et de chômage, et donc favoriser le retour à l’emploi, aurait pour conséquence, selon le syndicat, de limiter l’intérêt pour les emplois saisonniers.