Thierry Breton, le commissaire européen qui en faisait trop

A la tête d'un vaste portefeuille, Thierry Breton s'était imposé comme une figure centrale de l'exécutif européen, bousculant les habitudes au sein d'un univers feutré jusqu'à succomber aux joutes politiques qu'il aura menées...

Le commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, le 16 mars 2023 à Bruxelles © Kenzo TRIBOUILLARD
Le commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, le 16 mars 2023 à Bruxelles © Kenzo TRIBOUILLARD

A la tête d'un vaste portefeuille, Thierry Breton s'était imposé comme une figure centrale de l'exécutif européen, bousculant les habitudes au sein d'un univers feutré jusqu'à succomber aux joutes politiques qu'il aura menées contre la présidente Ursula von der Leyen.

A Bruxelles, le commissaire au Marché intérieur était sur tous les fronts. Architecte de la relance de l'industrie européenne, Thierry Breton s'est surtout fait connaître du grand public pour sa lutte contre les abus de pouvoir des géants du numérique, avec son style de patron à la fois atypique et très politique.

A sa nomination en 2019, il quitte la tête du groupe français de technologies Atos et devient le premier grand chef d'entreprise à débarquer dans l'univers policé de la Commission européenne. Très présent dans les médias, habile sur les réseaux sociaux, il cherche la lumière et soigne son image de disrupteur qui fait bouger les lignes.

Il aime faire de la politique et sortir les gants de boxe, y compris parfois contre certains collègues. Il aura sans doute engagé le combat de trop au printemps en s'en prenant publiquement à la présidente Ursula von der Leyen qui aurait, selon lui, demandé sa tête à Emmanuel Macron.

Le commissaire français avait publiquement mis en cause l'éthique de Mme von der Leyen après la nomination fin janvier d'un émissaire chargé des petites et moyennes entreprises, un poste hautement rémunéré au sein de la Commission.

Le poste avait été attribué à l'eurodéputé allemand du Parti populaire européen (droite) Markus Pieper, quelques semaines avant un congrès à Bucarest début mars au cours duquel le PPE avait apporté son soutien à un second mandat de Mme von der Leyen.

La polémique, en pleine campagne pour les élections européennes de juin, aboutit finalement au retrait de M. Pieper mais sans plomber la dirigeante allemande, réélue en juillet à la tête de la Commission.

En juillet 2023, Thierry Breton avait déjà bataillé contre la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager. Après une vive polémique, il pousse la Danoise à renoncer au recrutement d'une Américaine à un poste clé pour la régulation du numérique en Europe. Mais il égratigne aussi au passage Mme von der Leyen qui avait approuvé ce choix.

A la bagarre contre Musk

Thierry Breton a pourtant longtemps eu l'oreille de la présidente.

Chargé du numérique, il est à la manoeuvre dans les enquêtes visant X (ex-Twitter), Meta (Facebook, Instagram) et TikTok, pour la diffusion présumée de "fausses informations" et de "discours de haine".

Sur les réseaux sociaux, il interpelle directement Elon Musk qui lui répond du tac au tac. Les deux hommes, qui se sont rencontrés à plusieurs reprises, semblent d'abord s'apprécier, mais la multiplication des mises en cause de X en Europe les conduit à des échanges publics de plus en plus hostiles.

Les législations (DSA et DMA) pour mettre au pas les géants du numérique Amazon, Apple, Google ou Meta sont l'un des principaux faits d'armes de Thierry Breton.

Il est l'artisan de ces deux textes qui imposent de nouvelles obligations et interdictions pour en finir avec les abus de position dominante et le laisser-faire dans la diffusion de contenus illégaux. "L'internet ne peut rester un Far West", explique le nouveau shérif du web.

Avocat d'une Europe souveraine, il incarne l'ambition du Vieux continent de mieux défendre ses intérêts face à la Chine et aux Etats-Unis. Une idée française qui monte, sur fond de désordre géopolitique mondial.

L'ingénieur de 69 ans n'est pas le meilleur des orateurs. Le commissaire à la chevelure frisonnante est parfois raillé pour la longueur de ses prises de parole durant lesquelles des idées nombreuses peuvent se bousculer de façon désordonnée.

Mais l'ancien patron de grands groupes français de la "tech" (Bull, Thomson Multimédia, France Telecom, Atos) est dans son élément quand il parle de numérique et d'industrie. Une galette de matériau semi-conducteurs à la main, il peut se lancer dans de longues explications techniques sur les puces électroniques. 

L'ancien professeur de gouvernance des entreprises à Harvard, auteur de plusieurs romans d'anticipation et essais de science-fiction, enchaîne les plateaux télé. Et sait se rendre indispensable.

En février 2021, en pleine crise du Covid, l'Europe est vilipendée. Elle attend toujours ses vaccins quand les Etats-Unis et le Royaume-Uni, post-Brexit, réussissent à se faire livrer. Une aubaine pour les eurosceptiques.

Parmi les 27, on s'impatiente et certains sont tentés d'abandonner la solidarité européenne pour faire cavalier seul. Ursula von der Leyen nomme Breton à la tête d'une "task force" chargée de déminer le dossier.

Sa connaissance de l'entreprise s'avère alors précieuse. Visites d'usines, dialogue avec les patrons de l'industrie pharmaceutique... Face aux Américains qui bloquent des composants clé, il brandit la menace de rétorsion malgré les réticences des Atlantistes.

En quelques mois, la production monte en puissance, l'UE s'extirpe de la crise et le commissaire au Marché intérieur en sort grandi.

Farouche défenseur du nucléaire, le responsable français a par ailleurs contribué à réhabiliter à Bruxelles cette filière que l'influence allemande avait réussi à marginaliser.

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