Télétravail : quelle "obligation" ? Quels pouvoirs de l’inspection du travail ?
Face à la dégradation de la situation sanitaire, l’exécutif a appelé à «systématiser» le recours au télétravail. En ce sens, le protocole sanitaire de la DGT (Direction générale du Travail) à destination des employeurs, détaillant leurs obligations en la matière, a été actualisé le 23 mars dernier, soulignant à nouveau l’importance de ce recours au travail à distance. Mais quelle est l’étendue de cette obligation et quels sont les pouvoirs de l’inspection du travail ?
Le protocole sanitaire précise que le télétravail «doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent». Ainsi, il est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance, avec toutefois, la possibilité d’un retour en «présentiel» un jour par semaine au maximum, lorsqu’ils en expriment le besoin, avec l’accord de leur employeur.
Dans les autres cas, l'organisation du travail doit permettre de réduire les déplacements domicile-travail et d’aménager le temps de présence en entreprise pour l'exécution des tâches qui ne peuvent être réalisées en télétravail, et pour réduire les interactions sociales.
Pour les activités qui ne peuvent être «télétravaillées», l’employeur organise systématiquement un lissage des horaires de départ et d’arrivée du salarié, afin de limiter l’affluence aux heures de pointe
Portée de l’obligation de télétravail
D’un point de vue formel, l’unique référence à «l’obligation» de recourir au télétravail figure dans le protocole sanitaire du 31 août 2020. Etant donné la nature de ce texte (un protocole n’est pas une catégorie d’acte juridique), la question de la portée de l’obligation s’est rapidement posée. Par une ordonnance du 19 octobre 2020, le Conseil d’Etat a estimé que ce protocole ne contenait … que de simples «recommandations» à destination des employeurs (CE, n° 444809). Ainsi, d’un strict point de vue formel, les règles précitées ne devraient pas pouvoir faire l’objet de sanctions, en cas d’inobservation.
Toutefois, pour donner une portée juridique utile à cette «obligation» de télétravail, le ministère du Travail la rattache à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur prévue à l’article L. 4121-1 du Code du travail, selon lequel celui-ci «prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs».
Moyens de sanction de l’inspection du travail
Ce rattachement presque «artificiel» à l’obligation de sécurité permet ainsi à l’inspection du travail de mettre en œuvre certaines sanctions, en cas d’inobservation. S’il constate la présence de salariés qui devraient être en télétravail, suivant la nature et l’importance des manquements (nombre de salariés concernés, volume de l’espace de travail, présence d’équipements de protection…), l’agent de contrôle aura principalement deux moyens d’action à l’encontre de l’employeur.
Premièrement, l’article L. 4721-1 du Code du travail donne le pouvoir au Dirrecte* de mettre l’employeur en demeure de remédier à une «situation dangereuse», résultant de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 4121-1 du Code du travail. On notera qu’avant la mise en demeure, l’agent de contrôle doit produire un rapport sur la situation dans l’entreprise qu’il transmet au Dirrecte. La mise en demeure, qui est écrite, datée et signée, doit fixer un délai d'exécution «tenant compte des difficultés de réalisation».
Dans tous les cas, si elle intervient pour cause de non-respect du protocole sanitaire, le délai d’exécution laissé à l’employeur ne peut être inférieur à quatre jours ouvrables. Si, à l'expiration du délai imparti, l’inspecteur constate que la situation dangereuse n'a pas cessé, il peut dresser un procès-verbal à l'employeur qu’il transmettra au procureur de la République. Ce dernier décidera des suites à adopter. L’employeur qui souhaite contester cette mise en demeure est tenu de former un recours administratif devant le ministre du Travail (art.L. 4723-1 du Code du travail)
L'inspecteur du travail peut aussi, au titre des articles L. 4732-1 et s. du Code du travail, saisir le juge des référés du tribunal judiciaire. Il devra pour cela prouver qu’il existe «un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique» d'un travailleur et que ce risque résulte de «l'inobservation de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité». Mais l’existence de ces deux conditions est loin d’être évidente, surtout s’agissant du protocole sanitaire qui ne constitue pas une «réglementation» au sens strict. A l’issue de l’audience, le président du tribunal judiciaire peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, jusqu’à, lorsque cela est demandé par l’inspection du travail, la fermeture de l’établissement.
*Depuis le 1er avril 2021, une nouvelle structure, les Dreets, Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités remplace les Direccte.
Le droit de contrôle de l’inspection du travail
Les agents de contrôle de l’inspection du travail ont un droit d'entrée dans tout établissement où sont applicables les règles du Code du travail «afin d'y assurer la surveillance et les enquêtes dont ils sont chargés» (art. L. 8113-1 du Code du travail). Ils peuvent pénétrer dans ces établissements, sans aucun avertissement préalable, et à toute heure du jour et de la nuit. A l'occasion d'une visite, l'agent, muni de pièces justificatives de sa fonction (carte professionnelle) doit informer de sa présence l'employeur ou son représentant, à moins qu'il n'estime qu'un tel avis risque de porter préjudice à l'efficacité du contrôle.
L'employeur n'a aucune obligation de l'accompagner durant sa visite. Il doit simplement faire en sorte que le contrôle soit possible, le cas échéant en donnant les instructions nécessaires pour que l’agent puisse se déplacer librement dans l’ensemble des locaux.