Serge et Beate Klarsfeld, de la traque des nazis à la légitimation du RN
Une vie de traque des nazis, de combat contre l'extrême droite ponctuée par un retournement: Serge et Beate Klarsfeld, qui seront décorés lundi à Berlin par Emmanuel Macron, estiment que le Rassemblement national est devenu un parti "républicain" et que "l'islamisme fondamentaliste" constitue...
Une vie de traque des nazis, de combat contre l'extrême droite ponctuée par un retournement: Serge et Beate Klarsfeld, qui seront décorés lundi à Berlin par Emmanuel Macron, estiment que le Rassemblement national est devenu un parti "républicain" et que "l'islamisme fondamentaliste" constitue désormais le vrai "danger", dans une interview à l'AFP.
L'avocat et historien français, fils d'un Juif assassiné à Auschwitz, et son épouse allemande, qui avait giflé le chancelier Kurt Georg Kiesinger en 1968 à Berlin pour dénoncer son passé nazi, vont recevoir respectivement les insignes de Grand-Croix et de Grand officier de la Légion d’honneur des mains du président français.
"C'est la plus belle des récompenses (...) Ensemble nous avons fait un très long parcours depuis 64 ans et ce parcours a été utile à l’Allemagne, à la France, à la réconciliation franco-allemande", estime Serge Klarsfeld, 88 ans, qui a rencontré Beate, alors jeune fille au pair, en 1960 à Paris.
"Et ce n’était pas un chemin facile", ajoute-t-il en pointant le long combat de Beate pour confronter l'Allemagne à son passé nazi après-guerre et leur inlassable campagne pour la reconnaissance de la Shoah.
Être décoré à Berlin, c'est aussi tout un "symbole", d'autant plus "nécessaire aujourd'hui où il y a des petits dissentiments dans le moteur franco-allemand", observe-t-il avec malice.
Soulagés
"Pour moi, c’est évidemment important que cela se passe en Allemagne, car après mon histoire de gifle et les grosses manifestations qui avaient suivi, j’étais devenue une brebis galeuse", renchérit Beate, aujourd'hui âgée de 85 ans.
Les époux, inséparables, reçoivent dans leur bureau parisien, entourés de deux chiens glapissant. Au mur, un plan du camp d'Auschwitz II, et une Une du Morgenpost sur la gifle. Derrière l'âge, le regard est toujours aussi vif et l'esprit aiguisé.
S'ils estiment leur "combat essentiel terminé" - débusquer des responsables nazis et les traîner en justice, comme Klaus Barbie, le chef de la Gestapo à Lyon - ils restent "préoccupés" par l'antisémitisme, exacerbé par l'attaque du mouvement islamiste Hamas contre Israël le 7 octobre et la riposte de Tsahal à Gaza.
Et dans cette ultime bataille, le parti de Marine Le Pen, qu'ils vilipendaient encore en 2017, est désormais à leurs yeux au rendez-vous.
"Nous avons été soulagés, je ne dirais pas heureux, mais soulagés d'entendre la dirigeante du Rassemblement national condamner Pétain, condamner Laval, condamner la rafle du Vel d’Hiv et prendre parti pour Israël", relève, sans ambages, Serge Klarsfeld.
"Nous le reconnaissons et nous considérons que ce parti est progressivement entré dans le cercle des partis républicains", dit-il.
"C’est un parti populaire, populiste on dit. Ce sont des braves gens et les braves gens pendant la guerre, ce sont ceux qui ont aidé les Juifs en France", affirme encore l'ancien chasseur de nazis, rejetant toute accusation de racisme à leur encontre.
Electoralisme
Cette prise de position, esquissée fin 2023, leur vaut de nombreuses réactions d'incompréhension. Elle s'annonce aussi embarrassante pour le chef de l'Etat qui a fait de la lutte contre le RN le combat suprême, de surcroît à deux semaines d'européennes où le parti de Marine Le Pen caracole en tête des intentions de vote.
Selon l'historien, une des "victoires" de la lutte contre l'antisémitisme a été de "mettre fin au "négationnisme historique". "Et l'autre, c'est de voir qu'un certain nombre de partis considérés comme d'extrême droite en Europe sont passés de l'autre côté, du côté du soutien à la cause juive".
Le couple votera néanmoins pour les "partis européens", pas le RN, le 9 juin - "Beate est née à Berlin, moi à Bucarest. L'Europe est une seconde patrie", souligne Serge - et concède que Marine Le Pen doit encore donner des gages.
"Nous faisons le pari que c’est sincère", avance l'ancien chassseur de nazis. "Nous avons quand même posé comme conditions que Marine Le Pen reconnaisse la loi Gayssot (de 1990, réprimant le négationnisme) et le discours de Jacques Chirac" sur la responsabilité de l'Etat français dans la déportation des Juifs, dit-il en espérant un geste "prochain".
A leurs yeux, "le danger, c’est à la fois la partie de la population musulmane qui se considère liée à l'islamisme fondamentaliste, et puis l'extrême gauche qui (..) a toujours eu des préjugés antisémites, contre le capitalisme" et des "raisons électoralistes de soutenir les ennemis d'Israël".
Les Klarsfeld, qui disent avoir rencontré la patronne du RN, restent en revanche vent debout contre le parti d'extrême droite allemand "Alternative für Deutschland" (AfD), avec lequel le RN a pris ses distances. "Il est anti-européen et antisémite", martèle Beate.
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