SeaFrance entre abordageet sabordage
Les multiples rebondissements de “l’affaire” SeaFrance tiendront décidément la région en haleine jusqu’au bout. A quelques jours du dépôt définitif des offres auprès du tribunal de commerce de Paris, la tension fut à son comble à Calais. Les assemblées générales se sont succédé, la mobilisation des salariés est grande, une manifestation s’est déroulée le 10 décembre dernier et les acteurs publics ont pris position en faveur du projet de SCOP. Quid de la suite des événements ? Une lettre du directoire aux administrateurs judiciaires explique bien des choses. Verbatim.
La fièvre est à son paroxysme chez SeaFrance. Toujours muets, la direction et l’administrateur judiciaire sont dans la ligne de mire des salariés chez qui la température a monté à l’approche du 12 décembre, date limite pour les deux candidats à la reprise pour affiner leur offre. Le syndicat majoritaire CFDT a rendu publique une lettre que les cinq membres du directoire1 de SeaFrance ont envoyée aux administrateurs judiciaires Emmanuel Hess et Christophe Thévenot. Dans ce courrier, daté du 8 novembre (soit une semaine avant la décision du tribunal de commerce de Paris de prononcer la liquidation avec poursuite de l’activité), Pierre Fa fait état des “options” du tribunal : “liquidation sèche”, “liquidation avec cession” et “liquidation avec poursuite d’activité pour un temps limité, de un à trois mois, en vue d’une cession”… Pierre Fa, anticipant le troisième scénario qui a eu la préférence du tribunal, écrit que “si cette hypothèse devait être retenue, DFDS-LDA ont indiqué qu’ils retireraient leur offre. Aussi, la seule qui resterait en lice sera l’offre de la SCOP. Le syndicat majoritaire CFDT, promoteur de cette solution, interprétera le jugement comme la volonté du tribunal de lui donner le temps de trouver le financement”. Pierre Fa voit juste et son courrier vise, sans ambages, à empêcher la solution de parvenir à “sauver tous les 880 emplois” de SeaFrance, comme le veulent les dirigeants de la SCOP en cours de constitution. Pierre Fa poursuit : “Il faut comprendre que les marins, pour leur part, considéreront que la direction actuelle n’est alors plus légitime et que la SCOP et ses dirigeants ont seuls autorité sur la compagnie. Faut-il rappeler que le secrétaire du comité d’entreprise (Eric Vercoutre) a déclaré urbi et orbi que les navires appartenaient aux marins !”
Une situation “incontrôlable”. Les craintes de mutinerie sur les navires sont-elles justifiées ? Une source proche de la direction nous indique : “Les commandants n’étaient pas obéis au lendemain de l’annonce de la décision du tribunal de commerce. Certains ont pris position sur les navires et ont positionné des lances-incendie.” Et Pierre Fa de poursuivre ses supputations : “Pendant la période qui s’ouvrira dès le lendemain du jugement, l’exploitation sereine de la compagnie dépendra très directement du sentiment des porteurs du projet qu’il peut aboutir. En effet, tant qu’ils garderont l’espoir de réussir, l’exploitation devrait se poursuivre sans heurts. En revanche,dès qu’ils auront acquis la certitude que leur projet ne sera pas financé, ils voudront faire pression par tous les moyens, y compris les plus extrêmes, pour exercer un chantage sur la SNCF ou le tribunal ou tout autre décideur. La situation deviendra incontrôlable. Les risques, tant en mer qu’à terre, tant pour les personnes que pour les biens, seront tels qu’il est inconcevable que nous prenions la responsabilité de poursuivre une exploitation dont nous ne pouvons garantir la sécurité. C’est pourquoi le directoire a décidé d’interrompre les opérations dans la nuit du 15 au 16 novembre dans l’attente du jugement et s’interdit de les reprendre dans le cas où le tribunal retiendrait la liquidation avec poursuite de l’activité.” Tout est (presque) dit. La direction bloque ainsi les bateaux, et par là le projet de SCOP. Mais a-t-elle l’autorité pour arrêter le trafic ? Et les administrateurs ?
Un futur dirigeant pour la SCOP. SeaFrance se dédit dès le lendemain en annonçant par voie de communiqué qu’“à la demande des administrateurs judiciaires”, le trafic a été arrêté ! Mieux, Pierre Fa implique les pouvoirs publics : “Le préfet d’Arras et le ministère de l’Intérieur ont été consultés. Cette concertation a montré qu’ils partageaient très largement nos craintes et cela a débouché sur l’élaboration d’un plan de protection de l’ordre public pour le 16 novembre et au-delà.” Au matin du 16, des centaines de CRS débarquaient donc au port de Calais. En parallèle, à l’occasion de la venue de Thierry Mariani, ministre des Transports, aux Assises de l’économie maritime à Dunkerque, une rencontre est organisée à l’aéroport de Marck. Le ministre déclare alors que “toutes les offres doivent être examinées de la même manière” et qu’il va rencontrer prochainement le PDG de la SNCF. Entretemps, la CFDT a trouvé un dirigeant : Jean-Michel Giguet, ancien dirigeant de Britanny Ferries. Elle a aussi trouvé 11 millions d’euros – auprès du Conseil régional –, à travers une opération de lease-back sur un navire. Avec près de 900 sociétaires dont une large majorité de salariés, le scénario SCOP semble bien parti mais celui-ci sera-t-il la seule offre … Un cadre de la direction nous glisse : “On ne budgétise pas la tonne de mazout à 400 euros quand elle dépassera les 550 euros en 2012 : leur plan n’est pas sérieux.” Mais quid de la gestion des dernières années ?…