Sans suite : la hantise des maires face à la délinquance environnementale

Gravats de chantier, déchets domestiques... Les maires font face à une délinquance environnementale qui ne tarit pas. Pour la combattre, ils disposent de moyens limités, dans un cadre législatif complexe.

(c) adobestock
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Tout, sauf anodin. Le 19 novembre2024 au Salon des maires, à Paris, une conférence était consacrée à la « Délinquance environnementale : être efficace ensemble ». En dépit de son intitulé volontariste, la rencontre a -aussi - laissé place à l'expression des élus, mélange de colère et de désarroi face à ce phénomène désolant qu'ils expliquent ne pas avoir les moyens de contrer. Le sort de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes (Var) est dans toutes les mémoires. Le 5 août 2019, l'élu a payé de sa vie le fait d'avoir stoppé un maçon qui avait déversé des gravats de chantier dans la nature. Cinq ans plus tard, plusieurs maires témoignent de la persistance des méfaits de particuliers, artisans, autoentrepreneurs, grandes entreprises, délinquants organisés... Par exemple, le maire d'une petite ville ( 900 habitants) de Saône-et-Loire prend la parole pour témoigner de deux affaires qui se sont terminées – à son grand dépit- de la même manière : en queue de poisson. Comme celle d'un camion forestier abandonné au cœur d'une forêt classée Natura 2000, près de la petite commune. « J'ai repéré le camion. Au bout de deux ans et demi de démarches, de dépôt de plainte, l'individu est venu chercher son véhicule. On m'a expliqué que l'infraction ayant pris fin, il n'y aurait pas de sanction (…)Je n'ai pas de garde-champêtre. C'est moi qui doit aller sur le terrain, et pendant cela, je ne suis pas au bureau. Le résultat de tout cela ? Classé sans suite ! », témoigne l'élu. Un autre s'exaspère de ces habitants qui abandonnent des dépôts sauvages domestiques. « Certains s'en foutent !», commente-t-il. Dans le même sens, un autre maire encore se souvient de la fois où dans un dépôt sauvage, il a retrouvé, parmi les déchets, un emballage comportant l'adresse d'un individu. Sollicité, « il m'a expliqué qu'on lui avait volé sa poubelle. Tout cela s'est perdu dans les méandres de la justice », relate l'élu...

Planter des arbres, vidéosurveiller

De facto, les maires se retrouvent en première ligne. « Beaucoup, y compris chez les représentants de l’État, considèrent que la délinquance environnementale relève de la responsabilité des maires dans la mesure où ils ont, avec les intercommunautés, la compétence des déchets ménagers ou assimilés. En réalité, ce n'est pas le cas. Mais nous sommes compétents de fait », analyse Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville, président de l’Association des maires de Seine-et-Marne et vice-président de l’AMF, Association des maires de France. Bref, les élus s'efforcent de réagir comme ils le peuvent. « Il existe des menues solutions qui peuvent parfois faire progresser la situation », note Guy Geoffroy. Exemple cité par l'élu : un emplacement sis à la sortie d'une autoroute qui donnait sur un plateau agricole, devenu l'objet de nombreux dépôts sauvages réalisés la nuit. Le fait de planter des arbres sur 200 mètres le long du chemin a rendu le site beaucoup moins appétant pour les pollueurs qui ne pouvaient plus réaliser leur méfait rapidement. Autre exemple, celui de Petit-Bourg, en Guadeloupe. Le maire, David Nebor, a drastiquement réduit le nombre de dépôts sauvages dans sa commune en mettant en œuvre des actions croisées de sensibilisation, de prévention, de surveillance et de sanctions. Sa stratégie a nécessité des moyens : travail avec les associations, effectifs de la police municipale affectés à des missions de surveillance, utilisation de caméras, amendes administratives prononcées jusqu'à 14 000 euros...Autre type d'action encore : en Alsace, de nouvelles communes continuent d'adhérer aux Brigades vertes d'Alsace. Fondé à la fin des années 1980, ce syndicat mixte coordonne les gardes-champêtres intercommunaux qui veillent sur le territoire.

Deux cents infractions différentes

Avec les inspecteurs de l'OFB, Office français de la Biodiversité et la gendarmerie, les gardes-champêtres font partie des acteurs publics compétents dans le champ de la délinquance écologique. La France compte environ un millier de gardes- champêtres, agents territoriaux sous l'autorité du maire. « Nous pouvons, par exemple, prendre la plainte d'un cultivateur qui a trouvé un dépôt sauvage sur son terrain, mener l'enquête et transmettre au parquet », explique Romain Janson, chef de brigade de l’environnement à la communauté d’agglomération de Saint-Quentin (Aisne). La France compte aussi 1700 inspecteurs de l'OFB. « C'est beaucoup et très peu (…) Nous n'avons pas les moyens d'aller partout », admet Olivier Thibault, directeur général de l'OFB. Lui prône une collaboration avec les gardes-champêtres et avec le CESAN, Commandement pour l’environnement et la santé de la Gendarmerie nationale. Ce dernier compte 4 000 gendarmes spécialisés dans les problématiques du droit à l'environnement. En outre, le CESAN fournit des outils aux élus : modèles de PV de constatation, lettres de mise en demeure, arrêtés permettant de prononcer une amende administrative…

Car le cadre juridique est d'une extrême complexité. « En matière de déchets, il existe 200 infractions différentes », rappelle le général Sylvain Noyau, chef du CESAN. La création de cette entité, en 2023, témoigne d'efforts réalisés au niveau de l’État. Dans le même sens, la législation évolue vers plus d'efficacité, selon Vincent Coissard, sous-directeur au ministère de la Transition écologique. Elle a par exemple ouvert des possibilités en matière d'utilisation de vidéosurveillance, exploitées par le maire de Petit-Bourg. Mais pour les élus, beaucoup reste à faire. Par exemple, pour Charlotte Blandiot-Faride, maire de Mitry-Mory (Seine-et--Marne) et vice-présidente de l’AMF, « il faudrait faire évoluer la loi afin de pouvoir faire la preuve de manière plus facile. Par exemple, si on trouve un nom sur un dépôt sauvage, cela ne suffit pas. Résultat, trop souvent, c'est : sans suite».