Guide de l'Observatoire de la Responsabilité sociétale des entreprises
RSE : la forêt, un sujet complexe et crucial
De plus en plus d'entreprises s'intéressent, dans le cadre de leur politique RSE, à la préservation de la forêt, menacée par le changement climatique. Mais attention, certaines actions peuvent engendrer plus de dommages que d'effets bénéfiques.
Après celle des océans, c'est la fragilité de la forêt qui fait l'objet de toutes les attentions. Lors d'une conférence «Pourquoi s'emparer du sujet de la forêt au sein de l'entreprise ?» organisé par l'ORSE, Observatoire de la Responsabilité sociétale des entreprises, celui-ci présentait un nouveau guide sur le sujet . «Il s'agit d'un guide pédagogique pour les directions RSE, mais aussi pour le grand public», explique Géraldine Fort, déléguée générale de l'ORSE.
En effet, constate-t-elle, «depuis quelques années, on constate une engouement, un fort intérêt du grand public pour la forêt». La tendance se traduit par la publication de livres, la multiplication de séjours et balades en forêt. Cette dernière intéresse aussi de plus en plus d'entreprises. Et leur regard change témoigne Elisabeth Michaux, experte biodiversité à la direction RSE de CNP Assurances, qui possède plus de 57 000 hectares de forêts. «Notre relation avec la forêt est en pleine évolution (…). Il y a 30 ans, nous y avons placé l'argent des épargnants pour réduire le risque financier (…). Depuis quelques années, nous réalisons que la forêt coche toutes les cases en matière de changement climatique, de résilience et de biodiversité. La direction RSE et la direction des investissements ont pris conscience du fait qu'il fallait les gérer différemment».
Il ne s'agit plus seulement d'exploiter du bois, fut-ce de façon durable, mais aussi de préserver une haute valeur environnementale. La société s'est donc, par exemple, dotée d’une charte sur la résilience de la forêt qui prend en compte la protection du sol et la biodiversité, en 2021. Financièrement, cela représente une augmentation des coûts de gestion et une réduction des revenus, au moins à court terme.
Côté investisseurs, la forêt constitue un «tout petit marché très sensible, avec 4 milliards d'euros de transactions par an», explique Christophe Lebrun, Head of Forestry chez AXA Investment Managers. Le marché, très internationalisé, est sensible aux risques géopolitiques. Toutefois, «il offre un retour sur investissement très honorable sur le long terme», précise Christophe Lebrun. Et aujourd'hui, sa réactivité à l'inflation accroît son attractivité. Mais la finance aussi doit intégrer dans ses stratégies la dégradation de cet écosystème.
Des dangers immédiats
La forêt, en effet, est en danger. «Le changement climatique constitue une forte menace», confirme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles à l'ONF, Office National des forêts. Les exemples qu'elle cite sont multiples. Les incendies, auparavant cantonnés dans le sud de la France, concernent aujourd'hui le pays entier. Et les attaques des scolytes, des insectes, augmentent en rythme et en intensité : depuis 2018, ils ont ravagé 30 000 hectares d'épicéas en France. Autre exemple, celui de la tempête de fin 1999 : elle a ouvert des espaces nouveaux dans les bois favorisant la prolifération des grands cervidés qui causent des dégâts sur les essences dont ils sont particulièrement friands.
Katia Prassoloff est chargé de clientèle chez Impact manager Reforest'action, qui propose notamment aux entreprises de participer à des projets liés à la forêt, par exemple pour compenser leurs émissions de carbone. Elle souligne un autre enjeu : la déforestation en zone tropicale, qui concerne 10 millions d'hectares chaque année. Dans 90% des cas, ce phénomène est lié à des projets agricoles ou d'élevage. «Cela peut être le fait de grandes cultures industrielles ou de populations très pauvres qui détruisent une petite parcelle pour survivre : Il s'agit de deux enjeux très différents à adresser», précise Katia Prassoloff.
Dans ce contexte général, le sujet complexe du renouvellement des forêts apparaît crucial. Un chêne atteint sa maturité à 240 ans, un hêtre, 110 ans, un résineux, 60... «Que faut-il planter maintenant de manière à ce que dans 100 ou 200 ans, les générations futures disposent de bois ?», interroge Nathalie Barbe. A quoi doit ressembler la forêt de demain, pour qu'elle soit plus résiliente que celle actuelle ? Loin d'être un écosystème naturel, en France, elle a été pour l'essentiel reconstituée après 1945, à base de résineux à la croissance rapide. «La recherche est inexpérimenté par rapport à la brutalité des phénomènes actuels. Nous allons devoir expérimenter», pointe Christophe Lebrun. Et ce, d'autant que les besoins en bois de la population augmentent…
Accepter une baisse de la rentabilité ?
Les entreprises ont leur rôle à jouer face à ce désastre, mais il est complexe et peut passer dans certains cas par une baisse - au moins momentanée - de la rentabilité. Les sociétés peuvent avant tout scruter leur chaîne de valeur et éliminer étapes et opérations qui induisent de la déforestation, et aussi, contribuer à la reforestation, d'après Reforest'action. Par exemple, «une enseigne du textile nous a demandé de l'accompagner dans un projet de plantation d'arbres en agroforesterie dans les champs de coton de l'un de leurs fournisseurs, afin d'accroître la biodiversité et la protection du sol», illustre Katia Prassoloff.
Autre exemple, en France, celui des champagnes Ruinart : ils se sont lancés dans la vitiforesterie en plantant haies et arbres à travers les vignobles depuis deux ans. «Arracher des vignes pour planter des arbres n'a pas été simple à intégrer. Mais nous sommes certains qu'il s'agit de la bonne solution», témoigne Sandrine Sommer, directrice développement durable chez Moët Hennessy (LVMH). La priorité, en effet, réside dans la régénération des sols sans laquelle il ne peut pas y avoir de bon champagne et qui passe par un développement de la biodiversité…
Côté financier, chez Axa, «nous allons au delà du cadre réglementaire, et nous consacrons un pourcentage de nos forêts à la biodiversité», relate Christophe Lebrun. L'activité n'a pour l'instant pas de retour sur investissement. Dans l'ensemble, décrit Katia Prassoloff, les entreprises qui s'adressent à Reforest'action optent pour deux types de projets : certaines agissent dans les sites où elles sont implantées, d'autres contribuent à restaurer des écosystèmes stratégiques, comme la forêt amazonienne.
Mais la professionnelle met en garde sur deux écueils potentiels. Pour elle, les seuls projets réellement vertueux sont ceux qui génèrent une «économie régénérative» : ils passent par le développement de filières économiques viables sur le long terme, qui intègrent les populations locales qui ont besoin de la forêt pour vivre. Par ailleurs, attention pour les projets exclusivement orientés carbone. Planter des hectares en mono-essence d'eucalyptus permet certes d'accumuler des crédits carbone, mais s'avère contre-productif en matière de biodiversité...