Réseaux sociaux : les parents ont-ils le droit de poster et partager des photos de leurs enfants ?
Publier des photographies de ses enfants sur les réseaux sociaux est devenu une pratique tellement courante qu’elle dispose d’un terme spécifique le «Sharenting», expression anglo-saxonne, contraction de «sharing» (partage) et «parenting». Un cadre juridique précis s’applique. Plusieurs décisions, en France, ont tranché de cette question dans le cadre de procédures de séparation des parents.
Dans ces affaires, le juge aux affaires familiales, en charge de la procédure de séparation, a été saisi de demandes visant à obtenir la cessation de toute publication de l’enfant par l’autre parent, y compris sous astreinte. Ces demandes se fondent sur l’autorité parentale conjointe et l’intérêt de l’enfant.
Illustration : un père de famille avait publié sur son compte Facebook plusieurs photographies de ses enfants, âgés au jour du jugement, de 9 et 6 ans. Dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande formulée par la mère de famille et a «interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent», en précisant qu’une telle interdiction s’impose aux fins de «respecter l’exercice conjoint de l’autorité parentale qui nécessite l’accord des deux parents concernant les décisions à prendre dans l’intérêt de l’enfant.» La Cour a considéré que diffuser des photographies de ses enfants, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un autre support, correspond à un acte non usuel, nécessitant l’accord des deux parents.
La Cour d’appel de Versailles avait déjà eu à se prononcer en ce sens, pour un père qui demandait à son ex-femme de cesser de publier des photographies de leur enfant âgé de 4 ans sur son compte Facebook et de supprimer les commentaires et photographies déjà publiés. Les juges versaillais ont alors fait droit à cette demande en ordonnant à la mère de cesser de publier tout document concernant l’enfant sans autorisation du père et de supprimer tous les commentaires et photographies de l’enfant déjà publiés sur Facebook. Là encore, ils ont retenu que «la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel, mais nécessite l’accord des deux parents» (CA Versailles, 2e ch. Sect. 1, 25 juin 2015, n°13/08349). Cette solution se démarque toutefois de la position qu’avait prise la Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 4 janvier 2011 : les juges ont rejeté la demande d’une mère qui réclamait que son ex-concubin retire les photographies qu’il avait publiées sur Facebook de leur fille de 6 ans au motif que «(…) les photographies de l’enfant s’inscrivent dans le cadre de communication personnelle entre amis (photos d’anniversaire de l’enfant) (…).» Ainsi, si on s’en tient au raisonnement de la Cour d’appel de Bordeaux, si le parent configure son compte Facebook de manière à ce que les photographies qu’il publie ne puissent être consultées que par ses «amis», il n’aurait pas besoin d’avoir l’accord de l’autre parent pour les publier. Selon cet arrêt, il convient donc de distinguer le cas où les photographies du quotidien de l’enfant sont visibles par un groupe restreint de personnes (acte usuel) et lorsqu’elles sont visibles par tout public, c’est-à-dire par des tiers (acte non usuel). Seuls les actes non usuels requièrent l’accord des deux parents.
Repères
Droit à l’image de l’enfant et exercice de l’autorité parentale. L’image est un des attributs de la personnalité. Selon la Cour de cassation, «toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation» (Cass. Civ. 1re, 27 février 2007, n° 06-10393). Chacun a droit de s’opposer à l’utilisation ou à la diffusion de son image. L’utilisation ou la diffusion de l’image d’autrui suppose donc son consentement. Lorsque la personne qui apparaît sur l’image est mineure, il est nécessaire de recueillir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale. (Cass. 1re civ., 12 juillet 2006, n°05-14.831).
Une autorité conjointe. Selon l’article 371-1 du Code civil, l’autorité parentale «ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant» est exercée par les deux parents en commun jusqu’à la majorité de l’enfant. La séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale (art.372-2). Ainsi, même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants. Les deux parents se voient confier les mêmes droits quant à l’éducation de leurs enfants, qu’ils vivent en couple ou soient séparés. Cependant, l’exercice conjoint de l’autorité parentale ne signifie pas que toutes les décisions concernant l’enfant doivent être prises par les deux parents d’un commun accord : en pratique, il serait impossible d’imposer aux parents de demander l’accord de l’autre pour effectuer tous les actes qu’implique la vie courante de l’enfant.
Cadre juridique du Sharenting : les autres questions qui se posent
Quid lorsque le parent séparé ouvre un compte sur les réseaux sociaux au nom de l’enfant mineur ?
Dans un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, en septembre 2014, la question s’est posée de savoir si le parent séparé, qui n’a pas donné son accord à l’ouverture du compte Facebook de son enfant mineur, pouvait en demander la clôture. En l’espèce, un père demandait à ce qu’un compte ouvert au nom de son enfant, âgé de 7 ans, par sa mère soit supprimé. La mère prétendait que ce compte n’était pas utilisé par l’enfant et avait simplement été créé pour qu’il puisse jouer à des jeux sur sa tablette. Les magistrats aixois ont toutefois accueilli la demande du père et condamné la mère à clôturer ce compte dans les 10 jours à compter de la signification de l’arrêt et, passé ce délai, sous astreinte (CA Aix-en-Provence, 6e ch. C, 2 septembre 2014, n° 13/19371). Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence déjà établie, notamment par un arrêt de la cour d’appel d’Agen, le 16 mai 2013, dans lequel, les juges avaient considéré que l’ouverture, par une mère, d’un compte Facebook au nom de sa fille de 10 ans était de nature à la mettre en danger.
À noter : cette question se pose maintenant jusqu’aux 15 ans de l’enfant puisque, depuis l’adoption du RGPD, la «majorité numérique» est de 15 ans, âge à partir duquel le mineur n’a plus besoin d’une autorisation parentale pour ouvrir un compte à son nom, sur un réseau social.
Et de l’action d’un enfant devenu majeur contre ses parents qui auraient posté des photographies de lui mineur ?
La situation s’est présentée devant les tribunaux étrangers, notamment en Autriche et en Italie. En septembre 2016, une jeune Autrichienne de 18 ans a déposé plainte contre ses parents, leur reprochant d’avoir attenté à sa vie privée et à son droit à l’image en publiant près de 500 photographies d’elle sur Facebook, alors qu’elle était encore mineure. De même, en janvier 2018, le tribunal civil de Rome a ordonné à une mère de retirer les photographies qu’elle avait publiées de son fils enfant sur Facebook et l’a condamnée à verser 10 000 euros de dommages et intérêts, si elle ne s’exécutait pas ou publiait de nouvelles photos. À notre connaissance, si la situation ne semble pas encore s’être présentée en France, les revenus que certains parents dégagent de l’exploitation de leurs blogs pourraient changer la donne.
Rappelons que le délai de prescription habituel de cinq ans est reporté pour le jeune majeur, conformément à l’article 2235 du Code Civil, la prescription ne démarrant que le jour de sa majorité.
Repères
L’atteinte au droit à l’image en tant que telle peut donner lieu à des sanctions civiles ou pénales. Au plan civil, l’atteinte au droit à l’image est sanctionnée des mêmes peines que l’atteinte au respect de la vie privée, soit par l’attribution de dommages et intérêts et/ou par la prescription par le juge de toutes mesures visant à faire cesser l’atteinte. Si l’image a été prise dans un lieu privé, l’auteur des faits s’expose même à des sanctions pénales. L’article 226-1 2° du Code pénal incrimine, en effet, «le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.» Les peines prévues sont d’un an de prison et 45 000 euros d’amende.
Blandine POIDEVIN, avocat associé