Reprise d'entreprise à la barre du tribunal : bonne affaire ou pari fou ?
Depuis le début de la crise économique de 2008, de plus en plus d'entreprises rencontrent des difficultés, créant ainsi de nouvelles opportunités de reprise à la barre des tribunaux de commerce. Une opération qui peut s'avérer positive si elle est faite dans les règles de l'art.
Bonne affaire ou opération périlleuse ? Le cabinet d’audit et d’expertise-comptable KPMG organisait une conférence fin octobre dans ses locaux amiénois pour tenter d’apporter des éléments de réponse sur cette question à plusieurs chefs d’entreprises présents. « On note 20% d’entreprises défaillantes de plus qu’avant la crise de 2008. En tant que professionnels, nous sommes souvent questionnés sur les clés pour réussir la reprise d’une société à la barre du tribunal », explique Fabrice Lemay, associé chez KPMG. Comment identifier la bonne cible ? Comment préparer son offre de reprise ? Comment le tribunal prend-il sa décision ?
Trois experts, Christophe Nony, associé prévention restructuration chez KPMG, Imad Tany, avocat associé au cabinet Pouillot & associés et Stéphane Vermue, administrateur judiciaire au cabinet RéAjir, ont successivement pris la parole pour démystifier cette procédure assez complexe.
De nombreux avantages
L’offre de reprise dans le cadre d’un plan de cession est la méthode la plus répandue, et aussi « la moins risquée », indique Christophe Nony. Prix facial peu élevé, reprise sans passif, reprise partielle du personnel, faible valorisation du stock, pas de plan de licenciement à gérer ou à payer, moins de concurrence…
La reprise d’une entreprise en difficulté par rapport à une entreprise saine présente de nombreux avantages, comme le précise Imad Tany : « Il n’y a pas d’obligation à reprendre toutes les activités de l’entreprise. Il est possible d’en sélectionner juste une ou plusieurs. De même pour le personnel, le choix se fait en fonction des postes clé. Il est impossible en revanche de choisir nominativement les salariés. » Avant d’en arriver là, encore faut-il connaître les offres de reprise et la procédure à suivre.
« Les informations concernant les entreprises à céder sont publiques. On peut les trouver sur le site des administrateurs judiciaires, chez les professionnels de la transmission comme les avocats ou les experts-comptables et dans la presse juridique et économique comme Picardie la Gazette ou Les Échos », rappelle Imad Tany.
Une nouvelle stratégie
Étape suivante : préparer son offre de reprise. Le prix proposé doit être cohérent avec les prévisions d’activité. C’est un élément important mais dans le contexte économique actuel, le poids de l’offre sera davantage évalué au regard des emplois préservés et des prévisions d’activités.
L’article L642-5 du Code du commerce stipule que « le tribunal retient l’offre qui permet dans les meilleures conditions d’assurer le plus durablement l’emploi attaché à l’ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présente les meilleures garanties d’exécution. »
« Il est indispensable d’être bien entouré, c’est un travail d’équipe avec les avocats et les experts-comptables, de bien connaître le métier et d’avoir les moyens de ses ambitions », conseille Stéphane Vermue. « S’il y a plusieurs repreneurs, le tribunal sera plus attentif aux personnes qui sont bien entourées », insiste Imad Tany. L’opération nécessite en effet des compétences pluridisciplinaires, à la fois juridiques, financières, comptables, commerciales et stratégiques. Il faut être en mesure de comprendre les causes de l’échec de l’entreprise (structure financière inadaptée, mauvaise qualité d’information, désorganisation ou mauvaise gestion) et de proposer une solution pérenne à la reprise d’activité.
Comme pour toute acquisition, un audit est indispensable afin d’inspecter tous les domaines de l’entreprise. « Il faut se rendre sur le site pour vérifier que l’outil de travail fonctionne, se rendre compte de l’organisation et échanger avec les instances représentatives du personnel. Cette étape est très importante car ces dernières seront consultées par le tribunal », souligne Christophe Nony. L’audit permet par ailleurs de dresser un état des lieux contractuel (vérification des baux, contrats de distribution etc., ceux-ci étant repris tels quels) et un état des lieux commercial (relation clients et fournisseurs).
Le repreneur ne peut reprendre que les éléments qui ont été désignés dans son offre.
Il doit donc lister les éléments devant être repris de manière exhaustive. « Attention aux droits de propriété industrielle, marques et brevets, trop souvent oubliés. Attention également aux crédits-baux, aux matériels et biens faisant l’objet d’un financement, au risque environnemental », note Imad Tany.
Basis EP, une reprise à la barre qui marche
28 janvier 2015. Patrice Pieranti, directeur de l’activité chez Basis électronique de puissance à Saint-Quentin (Aisne), engage une procédure de reprise à la barre pour son entreprise alors filiale du groupe Brochot SA. Ce dernier est en redressement judiciaire depuis le 3 octobre 2014. Bien l’en a pris, celui qui est aujourd’hui le président a lancé la procédure au bon moment. Mi-février, le groupe est placé en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis). « On voulait perdre le moins de temps possible dans le délai d’acquisition pour qu’il y ait le moins de perte en ligne avec les clients et pour garder notre carnet de commandes ainsi que la confiance de nos partenaires. Il faut aller le plus vite possible », explique le patron saint-quentinois. La procédure prend fin le 10 avril. L’opération est bouclée en deux mois et demi sans que cela ait un réel impact sur la société. « Pour racheter une société en liquidation, il y a aussi un impact assez négatif du fait de la liquidation. L’entreprise Basis a eu des problèmes financiers parce que le groupe Brochot a eu des problèmes financiers. Notre entreprise avait des commandes. Le dépôt de bilan aurait eu un impact négatif. La reprise à la barre a permis de garder le niveau de notoriété de Basis le plus élevé possible », relance Patrice Pieranti. Neuf mois après la reprise, les chiffres lui donnent raison. Basis EP, qui a été accompagnée dans cette reprise par le groupe Moret Industries et Picardie Investissement, réalise un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros. Son carnet de commandes ne cesse de croître avec des clients prestigieux comme Areva ou Thalès. L’entreprise axonaise vise même un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros par an pour les trois prochaines années. Cerise sur le gâteau, elle finira l’exercice en cours en étant bénéficiaire. Une reprise victorieuse pour cette entreprise qui est le leader français du marché très confidentiel de la conversion spécifique de puissance à haute valeur ajoutée. Désormais, Basis EP vise un développement en France, mais aussi à l’international.
Autre méthode : le rachat des droits sociaux
Le rachat des droits sociaux de la société en procédure collective avec mise en place d’un plan de continuation incluant le remboursement du passif permet aussi de reprendre une entreprise à la barre du tribunal. Appelé également reprise par voie interne, cette méthode présente l’avantage de pouvoir racheter des titres pour une valeur symbolique, généralement sans offre concurrente, de récupérer les déficits fiscaux souvent significatifs qui lui permettront de bénéficier d’économies d’impôts futures et de profiter d’une solution de financement des dettes (remboursement du passif jusqu’à dix ans avec possibilités d’abandons de créances.) Inconvénients : le repreneur reprend l’ensemble des engagements de la société (et des contentieux), les dettes et supporte les frais de la restructuration et de la procédure collective. Il peut hériter d’une image de marque dégradée par le dépôt de bilan. Difficile, dans ces conditions, d’obtenir de nouvelles lignes de financement.