Rencontre avec Alexandre Saubot, président de l’UIMM
Arrivé à la tête de Haulotte Groupe, l’entreprise familiale, il y a plus de 10 ans, Alexandre Saubot a décliné au quotidien une approche pragmatique, ambitieuse et transparente du management. Un savoir-faire qu’il applique désormais à la présidence de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Avec une conviction : la France sera encore une grande puissance industrielle à l’avenir si elle s’en donne les moyens.
Réso Hebdo Eco : Comment se porte l’industrie française aujourd’hui ?
Alexandre Saubot : Elle va mieux. Je crois que tous les indicateurs marquent soit une stabilisation, soit un rebond. Le moral des industriels est au plus haut depuis 2011, les embauches sont également orientées à la hausse et les investissements sont en forte croissance. Nous n’avons certes pas retrouvé les niveaux d’avant la crise, mais pour la première fois depuis 2011 nous vivons une période favorable. Je dirais, en souriant, que l’alignement des planètes nous permet d’espérer une croissance qui va se poursuivre dans les mois et les années à venir.
R.H.E. : Comment faut-il interpréter la nouvelle base line de la métallurgie Fabrique de l’avenir ? Est-ce juste un slogan mobilisateur ou le symbole fort d’une réelle ambition ?
A.S. : Il ne fait aucun doute que l’industrie soit un élément d’avenir de l’économie française. On ne peut pas s’arrêter aux chiffres bruts sans aller regarder de façon qualitative ce qui se passe et s’apercevoir qu’il n’y a pas de recul des volumes industriels en France, mais un recul des prix, ce qui entraine évidemment une baisse de la part de l’industrie dans le PIB du pays. Nous ne faisons pas moins qu’avant, mais nous faisons mieux, moins cher, plus efficacement. Ce qui a manqué à l’industrie française au cours de ces dernières années, c’est avant tout de ne pas avoir été capable de transformer ses énormes progrès en matière de qualité, de productivité et d’innovation, en plus de volumes. C’est justement ce que les Allemands ont su faire en s’appuyant sur l’export, la marque, l’image du pays… Donc l’industrie française pèse un peu moins dans l’ensemble de l’économie Hexagonale, mais l’industrie n’a pas disparu du paysage et la région Rhône-Alpes est à ce titre un excellent exemple. Il reste des terres d’industrie dans notre pays, avec des gens compétents, des produits à la pointe des technologies et des entreprises ambitieuses. Il n’y a donc pas péril en la demeure, mais il faut main tenant reprendre un vrai chemin de croissance.
R.H.E. : Ce qui passera par quels choix forts ?
A.S. : Avant tout par l’ouverture sur le monde. C’est le deuxième enjeu du défi que nous devons relever. Nous sommes dans un monde de plus en plus incertain, de plus en plus agité, ce qui implique des risques plus nombreux mais aussi un certain nombre d’opportunités qu’il faut savoir mettre à profit. Pour cela il faut être plus agile, plus réactif. Car actuellement nous sommes entravés dans notre action par les travers du droit français en matière fiscale, sociale et réglementaire. On nous attache les mains dans le dos et on nous demande de courir aussi vite que les autres ; ce n’est pas possible. Comme nous sommes très bons, nous courons presqu’aussi vite qu’eux, mais le monde est de plus en plus compétitif et notre nouvel exécutif va devoir en tenir compte. Le président de la République a un agenda de réformes et nous considérons que celles-ci doivent être mises au service d’un cadre qui nous permettra de nous battre à armes égales avec nos voisins et concurrents. Il ne faut pas se tromper : les chefs d’entreprises veulent avant tout pérenniser leurs entreprises. Et pour cela il faut non seulement créer un cadre social, fiscal et réglementaire adapté aux nouvelles règles du jeu mondial, mais aussi former les hommes et les femmes qui vont nous accompagner dans cette aventure.
R.H.E. : La question de la formation et des ressources humaines est donc également une priorité pour vous ?
A.S. : Oui, en raison de l’évolution de la pyramide des âges, des besoins en compétences, du turnover… nous devrons faire chaque année 250 000 recrutements dans l’industrie pendant les cinq à dix prochaines années, dont plus de 100 000 pour la seule métallurgie. Ce sont des besoins considérables et pour que nous soyons en mesure de les satisfaire il faut des outils de formation. À charge ensuite pour nos entreprises d’identifier les besoins exacts et les compétences requises. À charge aussi d’attirer les jeunes. En fait, toute l’idée de la Fabrique de l’avenir c’est de se dire : comment fait-on prendre conscience à notre environnement, que ce soit les élèves, les parents, les conseillers d’orientation… qu’il fait bon venir travailler dans l’industrie ? Aujourd’hui, seulement 34% des jeunes se déclarent attirés par l’industrie, alors que plus de 90% de ceux qui travaillent chez nous se félicitent de ce qu’ils y font et de ce qu’ils y trouvent. Il y a un décalage énorme entre ceux qui nous connaissent et les autres. C’est donc sur ce point que nous devons travailler. Nous devons faire rêver, donner envie. C’est l’ambition de la Fabrique de l’avenir. Cela ne se fera pas en un claquement de doigt, mais cela doit nous permettre de redonner envie aux gens de nous rejoindre.
R.H.E. : Comment pouvez-vous aider les PME et les ETI à accueillir des compétences ?
A.S. : En expliquant que derrière les porte-drapeaux du savoir-faire français que sont Ariane, Airbus, TGV… il y a aussi une réalité formidable à chaque échelon de l’industrie Hexagonale. Cette réalité est d’autant plus formidable, que nous vivons une transformation considérable avec le numérique, la robotique, la réalité augmentée, la fabrication additive, les big data, l’Internet des objets… Tout cela n’existerait pas sans l’industrie. Cette transformation nous donne donc l’occasion de montrer que l’industrie est au cœur du quotidien des Français, bien qu’ils n’en n’aient pas conscience. Nous faisons des choses remarquables dans nos entreprises et cela ne se sait pas assez.
R.H.E. : En quoi le nouveau gouvernement peut-il vous aider à relever le défi de l’avenir ?
A.S. : Nous avons besoin d’un environnement équivalent à celui de nos voisins. Les gens fantasment sur la Chine, mais nous sommes d’abord en concurrence avec les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Espagnols… C’est la réalité des entreprises françaises. Que je sache, les travailleurs de ces pays ne sont pas moins bien payés que leurs homologues français. Donc ce qui fait la différence, ce sont des outils de souplesse, de flexibilité, d’adaptation des compétences et, enfin, des sujets sociaux et fiscaux. Clairement, quand on paye trois fois plus d’impôts que les autres, cela se retrouve dans les écarts de taux de marge. Et les écarts de taux de marge dans la durée c’est moins d’investissement, moins d’innovation et donc des produits un peu moins bons que le voisin. Quand il manque 15 points de marge entre la France et l’Allemagne sur une longue durée, à la fin cela fait moins d’argent pour l’investissement, pour l’innovation, pour la rénovation, pour l’amélioration des process de production.
R.H.E. : La question du droit du travail agite également beaucoup les représentants des salariés et les divers acteurs politiques du pays ?
A.S. : Il y a en effet la question du droit du travail. Nous voulons juste qu’il soit adapté à la réalité du XXIe siècle. Cela veut dire, construire dans l’entreprise les nouveaux équilibres et les nouveaux compromis qui nous permettront d’être meilleurs. C’est ainsi que nous trouverons les solutions pour répondre à des pics d’activité sans dégrader trop fortement le prix de revient. Nous allons également être en mesure de donner de la visibilité aux salariés en termes de niveau d’activité. Nous pourrons aussi mettre en place des accords d’intéressement, prendre des engagements de volume pour bien montrer l’ancrage sur le territoire… Tous ces sujets, il faut les discuter au plus près sur le terrain. Et il ne peut pas y avoir deux réponses identiques. Chaque entreprise à son environnement concurrentiel, sa visibilité sur ses marchés, ses enjeux, qu’il s’agisse de l’investissement, de la formation, de la maîtrise du prix de revient, de la flexibilité… Il n’y a pas de solution toute faite. Enfin, il y a la question de la peur de l’embauche. Un chef d’entreprise gère du risque, donc sa première préoccupation c’est la pérennité de son entreprise. Et plus le risque est élevé, moins il prendra la décision de faire. Il faut donc recréer un écosystème favorable à la prise de risques.
R.H.E. : Vos évoquiez la concurrence des pays voisins de la France ce qui nous amène à la question des exportations. Que faut-il faire pour aider nos entreprises à renforcer leur présence à l’international ?
A.S. : Le développement à l’international c’est avant tout une prise de risque, ce qui nous ramène à la confiance, aux marges, mais aussi à la croissance en taille. Plus une entreprise est grande plus elle exporte. Pourquoi ? Parce qu’elle a plus de moyens et donc plus de capacités pour assumer une prise de risques sur un nouveau pays. L’export est le reflet de nos faiblesses structurelles. La véritable question qu’il faut se poser c’est : comment faire croître nos entreprises ? Nous avons trois fois moins d’ETI que les Allemands. Pourquoi ? Pace que nous n’avons pas su faire grandir les PME en croissance il y a dix ans et parce que les conditions qui sont faites aux entreprises ont amené les dirigeants à vendre.