Renaud Van Ruymbeke, un soliste de la lutte anti-corruption
Peu de juges d'instruction ont cumulé autant d'affaires sensibles que Renaud Van Ruymbeke, décédé à 71 ans, aguerri par les dossiers complexes, les coups tordus et la vindicte de politiques de tous bords qui ont forgé...
Peu de juges d'instruction ont cumulé autant d'affaires sensibles que Renaud Van Ruymbeke, décédé à 71 ans, aguerri par les dossiers complexes, les coups tordus et la vindicte de politiques de tous bords qui ont forgé son attachement viscéral à l'indépendance de la justice.
Karachi, Kerviel, frégates de Taïwan, Cahuzac, Elf, Urba, Boulin... Autant de feuilletons politico-financiers ultra-médiatiques pour un magistrat obsessionnellement discret, qui avait pris sa retraite en 2019.
Pilier du pôle financier de Paris dans les années 2000 et 2010, Renaud Van Ruymbeke c'était d'abord une mécanique de précision, associée à l'endurance et la stratégie d'un ex-footballeur, qui guettait le moment propice pour atteindre sa cible.
"Poor lonesome JI " (Pauvre juge d'instruction solitaire), proclamait une affiche à l'effigie de Lucky Luke dans son cabinet de conseiller à la cour d'appel de Rennes.
C'est là qu'il avait hérité au début des années 90 du délicat dossier Urba-Sages sur le financement du Parti socialiste et organisé une perquisition surprise au siège du PS, avant de mettre en examen l'ex-trésorier du parti, alors président de l'Assemblée nationale, Henri Emmanuelli.
Il devient alors une bête noire de l'ère Mitterrand. "Vous nous rappelez les sections spéciales à Vichy", lui lance-t-on rue de Solférino. "Je fais simplement mon travail", répond ce fils de haut-fonctionnaire.
Dès ses débuts à Caen, ce magistrat à la silhouette longiligne, portant moustache et fines lunettes, s'était heurté au pouvoir, à l'époque la droite giscardienne.
Il instruisait alors une affaire marquée par le suicide en 1979 du ministre du Travail Robert Boulin qui l'avait accusé d'avoir voulu "faire un carton sur un ministre".
Vacciné pour la suite
"Cela m'a en quelque sorte vacciné pour la suite", confiait Renaud Van Ruymbeke aux auteurs du livre "Sarko m'a tuer".
A partir de 2010, il avait instruit un autre brûlot: le volet financier du dossier Karachi sur des soupçons de financement illicite de la campagne d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole en 1995.
Sa route avait aussi croisé celle de l'ancien président de la République dans une autre affaire retentissante, Clearstream, théâtre de violents affrontements entre M. Sarkozy et Dominique de Villepin.
M. Van Ruymbeke avait été une victime collatérale de cette procédure: pendant plusieurs années, il avait été sous la menace d'une procédure disciplinaire, engagée parce qu'il avait parlé hors PV au corbeau de l'affaire, Jean-Louis Gergorin.
Imprudence ? Naïveté ? L'affaire laissait perplexe tant ce magistrat était chevronné, habitué des chausse-trappes et des conflits avec le parquet.
Il s'est défendu en invoquant "le respect de la parole donnée" à un informateur, s'estimant surtout victime d'"une tentative de déstabilisation".
Il avait déjà essuyé plusieurs attaques de Nicolas Sarkozy, s'estimant sali dans l'affaire Clearstream par un "corbeau allié avec un juge".
"Je ne suis en guerre avec quiconque, ni Nicolas Sarkozy, ni personne d'autre", assurait en retour le magistrat, qui partageait avec l'ex-chef de l'Etat une passion pour le football.
"Avec l'âge, on se blinde. J'ai toujours été du mauvais côté", disait-il, un brin fataliste, devant des étudiants parisiens fin 2011, relevant qu'un juge "a la possibilité de dire non" mais devra peut-être renoncer à faire carrière.
En 1996, il avait participé à la croisade contre le blanchiment d'argent sale lancée par "l'appel de Genève".
Depuis avaient défilé dans son cabinet le trader Jérôme Kerviel, qui lui reprochait son "aveuglement" face aux accusations de la Société générale, ou l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine qui l'accusait de "détournement de procédure" dans le dossier Karachi.
Jérôme Cahuzac, ministre du Budget auteur d'évasion fiscale ou encore les époux Balkany avaient eux aussi eu affaire au magistrat.
"Je me protège", confie-t-il. Et c'est à côté de Rennes que ce père de sept enfants s'immergeait au calme, loin des méandres des circuits financiers occultes, cultivait son jardin et retrouvait son piano, son autre passion.
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