Renaissance ou cautère pour Noyon dentelles ?

Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a prononcé la liquidation judiciaire des Etablissements Lucien Noyon le 12 janvier dernier. A deux ans de son centenaire, l'entreprise phare de la dentelle de Calais s'éteint pour essayer de renaître avec une future (?) cession dont les offres pouvaient être déposées jusqu'au 20 janvier. Retour sur un naufrage.

 

Un cas d’école. Rarement entreprise aura été aussi favorisée sur la Côte d’Opale. Malgré le soutien quasi sans faille de ses salariés, malgré des prix qui ne pouvaient que lui faire gagner de l’argent, malgré les aides publiques massives et récurrentes, Noyon n’a pu survivre dans un contexte où les clients achètent moins et toujours moins cher. En redressement judiciaire depuis le 6 septembre 2016, Noyon cherchait des partenaires en Asie et en Europe pour refonder son business model. Le problème principal résidait dans la manière d’impliquer de nouveaux acteurs dans son affaire. Avec des pertes récurrentes depuis plus d’une décennie, des dettes abyssales (plus de 20 millions dans l’attente de l’état total des créances en cours d’écriture au tribunal de commerce) et la disparition presque intégrale de ses actifs au fil des ventes, personne ne pouvait décemment entrer chez Noyon… La liquidation, «à la demande de l’administrateur judiciaire», Vincent Labis, qui enchaîne les procédures dans le secteur de la dentelle, était la seule chance pour effacer les créances et permettre l’arrivée d’investisseurs. Le dernier rapport de Me Labis faisait état de 511 000 euros de défaut de paiement supplémentaires auprès de l’Urssaf et du service des impôts aux entreprises. Une paille quand on songe aux 15 millions de créances listées lors du dernier redressement judiciaire du dentellier entre 2008 et 2010. Déjà 5 millions de créances étaient abandonnées. De cette époque où les juges consulaires ont évité à Noyon d’être repris par son concurrent caudrésien Holesco ou par BKC, il ne reste qu’une série de fournisseurs déçus d’être oubliés et marris de voir une liquidation mettre fin à tout espoir. Accepté par les juges consulaires de Boulogne-sur-Mer, le plan de continuation d’Olivier Noyon, dirigeant de la troisième génération, ne pouvait aboutir (cf. La Gazette n° 8515 de mars 2010) : prévu sur dix ans, son activité n’a jamais pu dépasser les 15 à 16 millions d’euros en exploitation dont le dirigeant a besoin pour payer plus de 200 personnes. Noyon n’est pas à la bonne taille depuis 20 ans et le prix à payer pour cela a coûté tous les actifs patiemment constitués par les deux générations précédentes.

 

Un nouveau pool pour sauver Noyon. Pour autant, la valeur de l’entreprise doit permettre de créer encore et toujours de la dentelle pour les clients lingers-corsetiers comme La Perla, Etam ou encore Vandevelde. Ces trois entreprises ont décidé de voler au secours de Noyon, leur principal fournisseur en dentelle Leavers. Accompagné par MAS Holdings, le partenaire indien de Noyon avec qui il partage une usine de dentelle (tricotée) au Sri Lanka, ce pool doit apporter 80% du capital d’une nouvelle société (Société des dentelles calaisiennes Noyon). Les salariés qui le souhaitent sont invités à abonder à hauteur de 10%, tandis que la maison mère de Noyon rejoint l’équipée pour 10% également. L’ensemble devrait peser 1,5 million d’euros auquel il faut ajouter 1 million d’euros d’avances remboursables que consent à apporter le conseil régional des Hauts-de-France. Mais 2,5 millions, c’est à peine trois mois de trésorerie… Le plan de reprise proposé par Charles-Henri Durlet, actuel directeur général des Etablissements Lucien Noyon, prévoit de conserver l’ensemble des machines, des collections, des stocks et des participations de Noyon. La nouvelle entité reprendrait 170 personnes sur 247 salariés actuellement inscrits aux effectifs. Avec une activité de production escomptée en 2017 de 11,3 millions d’euros (contre 13 millions en 2016), la nouvelle société aura fort à faire pour ne pas dévisser dès la première année. Si Noyon perd 2 à 3 millions avec 240 personnes sans payer ses charges, comment gagnerait-il de l’argent avec 70 personnes de moins et en respectant ses échéances ? «La barque est encore trop lourde» déplore un dentellier de la place. En 2010, l’offre du groupe caudrésien Holesco affichait 120 personnes et 10 à 12 millions d’euros de facturation annuelle. En 2008, il y avait encore 450 salariés chez Noyon. Son plan de continuation de 2001 prévoyait une activité de près de 20 millions d’euros par an.

 

Guerre des prix et marché qui rétrécit. Au fil de ces dernières années, celle-ci s’est fortement étiolée au point d’approcher la barre des 10 millions en exploitation. Toute la place de Calais souffre d’une forte contraction du marché : Codentel, récemment acquis par Sophie Hallette, tourne au ralenti ; Desseilles, racheté par Yongshen l’an dernier, n’atteindra pas ses objectifs en 2017. Qui le pourrait avec des volumes qui baissent et des prix cassés ? Malgré le licenciement de 70 personnes fin 2016, le plan de cession après liquidation ne semble pas raisonnable en dépit de la présence de clients importants au capital. Quels volumes supplémentaires apporteront-ils à Noyon déjà bien servi ? Quelles hausses de tarif sont-ils prêts à accepter pour redonner du souffle à ce fournisseur ? Sont-ils prêts à remettre au pot si le compte d’exploitation dérape ? Ces questions trouveront des réponses après la décision du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer quant à l’avenir de ce qui reste du dentellier-phare de Calais. On ne sait pas, à l’heure où nous bouclons, s’il y aura d’autres offres sur la reprise des actifs restants de Noyon. Mais il est peu probable qu’un industriel souhaite s’aligner sur une offre qui reprend 170 personnes dans un marché contraint. Si le corps social continue de faire front avec Noyon, rien ne dit que le modèle soit viable.