Relocaliser, la fausse bonne idée ?
Relocaliser ? Les Français y sont massivement favorables. Mais la réponse à la crise est infiniment plus complexe, a montré l'économiste Olivier Bouba-Olga, lors d'un webinaire organisé par La Fabrique de l’industrie, laboratoire d'idées.
Plus de neuf Français sur 10 sont favorables à la relocalisation des entreprises industrielles dans l’Hexagone, d’après un récent sondage Odoxa. Mais cette voie constitue-t-elle réellement une réponse à la crise actuelle ? Le 19 mai, France Industrie, organisait un webinaire consacré à «Penser le territoire comme solution face à la crise». Parmi les intervenants, Olivier Bouba-Olga, économiste, professeur à l’Université de Poitiers, montrait que l’équation est plus complexe, même si les relocalisations en font partie et peuvent constituer une opportunité pour certains territoires. Tout d’abord, le sujet des relocalisations est une question «assez ancienne», rappelle Olivier Bouba-Olga. Au niveau politique, Yves Jégo, dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy, puis Arnaud Montebourg, dans celui de François Hollande, avaient déjà porté ce combat. Sur le terrain, toutefois, les relocalisations demeurent des «événements rares», souligne l’économiste. Ainsi, Bercy dénombre 98 cas de relocalisations entre mai 2014 et septembre 2018. Ces opérations auraient induit la création de 2 990 d’emplois et généré 430 millions d’euros d’investissements.
Assistera-t-on à un boom de ce type d’opérations, dans les mois qui viennent ? «Je doute de l’idée selon laquelle on va assister à un phénomène massif, même si cela ne veut pas dire qu’il ne va pas rien se passer», prévient Olivier Bouba-Olga, qui demeure prudent. Par ailleurs, pour lui, à trop se focaliser sur la logique de la relocalisation des productions, on en oublie une autre : celle de la sécurisation des approvisionnements. Le sujet s’impose aux États, pour des raisons de souveraineté, comme l’a montré la question de la pénurie des masques, mais aussi aux entreprises. «Beaucoup de grandes entreprises ont fait des choix d’approvisionnement en se focalisant sur le fait de minimiser leurs coûts, et en ne s’interrogeant pas assez sur la sécurisation de leur approvisionnement», note l’économiste Avant de relocaliser à tout va, c’est donc à l’élaboration d’une stratégie de diversification des sources d’approvisionnement que pourraient s’atteler les acteurs économiques et publics.
Relocaliser : en partie, et pas n’importe où…
Vu sous l’angle des territoires, toutefois, cet enjeu de diversification des sources d’approvisionnement peut constituer une opportunité. «Certaines collectivités, comme les Régions, qui sont chef de file en matière économique, pourraient travailler sur la géographie des approvisionnements. Elles pourraient identifier des niches potentielles de besoins auxquelles seraient en mesure de répondre les entreprises du territoire, pour fournir celles qui essaient de diversifier leurs approvisionnements», explique-t-il. Une tendance de long cours observée par Grégory Richa, associé d’OPEO, cabinet d’accompagnement des entreprises industrielles, pourrait favoriser ce mouvement. Déjà, «on assiste à une évolution de la demande vers des produits plus spécifiques, avec des délais plus courts. On n’est plus seulement dans une logique de coût. Lorsque l’on doit livrer en trois semaines des produits en petite série, la Chine, qui produit en masse, et avec des délais de huit semaines, n’est pas compétitive», estime Olivier Bouba-Olga.
Reste que les relocalisations ne constituent pas la solution adaptée à toutes les situations, pointe Grégory Richa. Exemple, avec les masques, indispensables sur le plan sanitaire, peu rentables, selon les critères de l’industrie en France. Sur un sujet tel, l’issue consisterait plutôt de disposer d’un modèle en open-source, facilement activable en cas de besoin, tout en continuant à s’approvisionner à l’étranger…
Quoi qu’il en soit, la pandémie a mis à terre le tissu économique dont les chaînes d’approvisionnement sont devenues impraticables. «Les pouvoirs publics vont devoir accompagner la transition», pointe Grégory Richa, qui veut y voir l’opportunité de dessiner «un vrai projet industriel». Et les territoires ont un rôle majeur à y jouer. Pour Olivier Bouba-Olga la bonne échelle d’un plan de relance serait européenne, en raison des interdépendances entre ces économies. Toutefois, au niveau national, il plaide pour que «le plan de relance soit décliné géographiquement». Le bon échelon serait alors celui des Régions, chef de file en matière de développement économique. Dans un pays où les industries sont implantées de manière très diverse, ces collectivités sont en effet au plus près des «écosystèmes» économiques locaux, où se joue la croissance des territoires.