Réindustrialisation : faciliter l'accès au foncier économique
Sites industriels clés en main, fléchage d'une partie des financements du Fonds friche, implication des acteurs publics locaux...Autant de voies qui simplifient l'accès au foncier économique pour les porteurs de projets industriels, a montré une récente table ronde organisée au Sénat.
À l'heure où la réindustrialisation fait figure de priorité nationale, la nécessité de « simplifier l'accès au foncier économique » semble s'imposer. Mais comment ? L'enjeu est complexe, a montré une table ronde consacrée à ce sujet, lors de la 7ème édition de la Journée des Entreprises, organisée par la Délégation aux entreprises du Sénat, le 21 mars à Paris. Pour Olivier Schiller, vice-président du Meti, Mouvement des entreprises de taille intermédiaires, la difficulté d'accès au foncier industriel fait clairement partie des « obstacles » à la réindustrialisation du pays. Notamment, en raison de l'objectif du ZAN, Zéro artificialisation nette, « il se fait plus rare et plus cher », note Olivier Schiller. Autre souci majeur, souligne-t-il, les complexités administratives et les recours qui bloquent ou retardent les projets. Le vice-président du Meti cite l'exemple de Sacred Europe, fabricant de pièces de caoutchouc, basé en Alsace (près de Mulhouse), qui disposait d'un terrain composé d'une usine et d'une réserve foncière. « Quand Sacred Europe a voulu agrandir son usine, elle a eu la surprise d'apprendre que la réserve avait été classée en zone humide, sans que l'entreprise n'en soit prévenue... » Bilan : un décalage de plusieurs années dans la réalisation du projet.
Autre exemple avec Bridor qui prévoyait un investissement de 250 millions d'euros pour implanter une usine de viennoiserie près de Rennes (500 emplois). « Après plusieurs années de procédures et un mouvement zadiste, l'entreprise a renoncé, c'est dramatique pour la région », souligne Olivier Schiller. L'acceptabilité d'un projet industriel par les populations locales constitue, en effet, un défi, confirme Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France. « Il est plus facile de développer un projet dans un territoire qui a toujours vécu avec une culture industrielle. Tout le monde a quelqu’un, dans sa famille, qui a travaillé à l'usine... Mais parfois, comme en Bretagne, la sociologie a évolué avec l'arrivée de populations urbaines qui n'ont pas le même rapport avec le développement économique territorial et la place qu'y tient l'industrie », analyse-t-il.
Le rôle des collectivités locales
Les politiques publiques -locales- en particulier, peuvent contribuer à débloquer les freins administratifs ou liés à l'acceptabilité d'un projet. « J'ai six usines en train de sortir de terre », témoigne Sébastien Martin, également président de la Communauté d’agglomération du Grand Chalon (Bourgogne) qui mène une politique industrielle très volontariste, notamment via le dispositif des sites « clés en main ». Sur ce territoire, Atlantic investit 150 millions d’euros dans la construction de sa nouvelle usine (pompes à chaleur). La société a déposé son permis de construire, géré les formalités liées à son statut d'ICPE, Installation classée pour la protection de l’environnement. Pour le reste, les études préalables (recherches archéologiques, étude 4 saisons...) ont été assurées par les pouvoirs publics. Sébastien Martin plaide pour cette « solution pour simplifier et accélérer » les projets des industriels. Outre à libérer ces derniers d'une démarche contraignante, elle permet de prendre le temps d'effectuer les interventions susceptibles de lever les éventuelles inquiétudes de la population, et donc, d'éviter une partie au moins des recours.
Plus globalement, pour Sébastien Martin, il revient aux intercommunalités de simplifier la vie des entreprises. « A nous de faire en sorte d'être cette porte d'entrée unique pour les porteurs de projets. Pour les chefs d'entreprise, il n'y a rien de pire que de devoir aller frapper à plusieurs portes pour un même projet », avance-t-il. « Nous sommes très favorables à avoir un interlocuteur unique au sein d'une intercommunalité », confirme Olivier Schiller. En matière de politique publique, toutefois, il manque un véritable « outil de pilotage », pointe Sébastien Martin : un observatoire du foncier qui permette d'identifier clairement les terrains disponibles. Et il fait sienne l'une des préconisations du rapport d'information « difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre », de la Délégation aux entreprises du Sénat : privilégier les projets de réindustrialisation dans le cadre du Fonds friche.
La fausse bonne idée de l'allègement des lois
Au delà de ces ajustements de politique publique, faut-il faire évoluer la loi, le droit applicable « devenu de plus en plus lourd et complexe », selon le rapport sénatorial ? Ce dernier rappelle que le nombre d'articles du Code de l'environnement a cru de 653% entre 2002 et 2022. « Il faudrait limiter en nombre et en durée les procédures de contentieux des associations qui peuvent tuer des projets et revoir l'application de la loi concernant l'objectif de ZAN (…) . Dans les territoires qui ne sont pas déjà industrialisés, elle est antinomique avec la volonté de réindustrialiser », estime, pour sa part, Olivier Schiller.
Le professionnel du droit, Arnaud Gossement, avocat en droit de l'environnement et professeur associé en droit à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, reste plus pondéré. Concernant les recours en justice, par exemple,« ne soyons pas hypocrites, le droit au recours est nécessaire. Les industriels aussi en ont besoin », pointe-t-il. Par ailleurs, les règles juridiques, et notamment celles qui concernent la protection de l'environnement, ont leur raison d'être. « On ne pourra pas simplifier à outrance. Il n'est pas toujours possible de réduire le nombre de normes », prévient l’avocat, qui rappelle également que si les textes sont très longs, c'est aussi parfois le fruit de l'insistance de groupes de pression qui se mobilisent pour le rajout d'amendements.
Pour Arnaud Gossement, plus que les textes, c'est « la charge » des normes qu'il faut alléger. Par exemple, en assurant leur stabilité, puisque les évolutions trop fréquentes constituent une source d'insécurité juridique et de travail pour les entreprises. Sébastien Martin va dans le même sens, qui se méfie du choc de simplification annoncé par le gouvernement. « Je suis toujours un peu inquiet de la complexité qui va en découler (…)J e ne demande aucune loi », avance-t-il.