Point de vue
Regards de dirigeant(e)s d'entreprises
Des dirigeant(e)s témoignent de leurs expériences de création, de développement, de transmission d'entreprises ou de thématiques telles que l'innovation, l'international, le financement, les enjeux humains... Cette rubrique est réalisée en partenariat avec Picardie Investissement, actionnaire minoritaire aux côtés des entrepreneurs désireux d’apporter des fonds propres à leur entreprise. Évolution industrielle, conséquences du Covid et du conflit russo-ukrainien : quel est l’impact de la nouvelle stratégie chinoise sur notre économie ? Jean-Éric Peugeot, administrateur de Picardie Investissement et vice-président d’une des Business Units de Johnson Electric, témoigne.
Jean-Éric Peugeot a repris une ancienne filiale de Valeo, AML System à Hirson dans l’Aisne, entreprise qu’il a dirigée et développée de 2010 à 2016. Il est actuellement vice-président d’une des Business Units de Johnson Electric. Administrateur de Picardie Investissement, il consacre une partie de son temps à l’économie régionale en apportant son expertise aux dirigeants qui font le choix d’ouvrir le capital de leur entreprise pour se développer. Reconnu dans l’industrie automobile, Jean-Éric possède une solide expérience à l’international et des relations avec la Chine.
Quel est le positionnement de la Chine dans le commerce international aujourd’hui ?
Il est établi depuis maintenant de nombreuses années que la Chine est un acteur économique majeur dans le monde. La stratégie poursuivie de développement rapide de l’économie en se basant sur la disponibilité d’une main d’œuvre nombreuse a permis à la Chine d’acquérir une place incontournable dans le domaine de la production de produits manufacturés, tant dans le domaine de composants pour l’industrie que dans le domaine des biens de consommation.
L’expérience industrielle accumulée ainsi que les transferts de technologie dont le pays a bénéficié ont forgé l’ambition de la Chine de devenir incontournable et ainsi ravir aux USA la place de première économie mondiale. L’image de la Chine en tant qu’usine du monde est dépassée depuis longtemps. Dorénavant, la Chine est en concurrence frontale avec les principales puissances occidentales, y compris dans les technologies de pointe. Cette ambition mondiale s’est traduite par une stratégie à long terme :
- D’expansion hors de ses frontières via notamment des investissements massifs dans des pays en développement friands de capitaux frais.
- De se ménager un accès à des ressources naturelles partout où le pays estime ne pas être auto-suffisant.
- De développement d’infrastructures favorisant le commerce et le rayonnement du pays, via notamment l’établissement des nouvelles routes de la soie.
- D’influence via notamment le commerce de ressources dont la Chine a un quasi-monopole comme les terres rares, indispensables à la production d’aimants performants pour la fabrication de moteurs électriques.
Néanmoins, la tendance en faveur de toujours plus de globalisation a subi un coup de frein brutal compte tenu de la crise sanitaire de la COVID, puis du conflit russo-ukrainien.
Le Covid a eu de forts impacts dans les échanges avec la Chine. Quelles en sont les principaux ? Comment s’adapter ?
La politique zéro Covid du Gouvernement chinois a quasiment verrouillé le pays et tout accès à la Chine depuis l’occident est virtuellement impossible depuis deux ans et demi. La production de biens et services est régulièrement perturbée dans certaines régions par l’application de périodes de confinement strict en fonction de l’évaluation de la situation sanitaire.
Les délais de fabrication et les temps de transit vers les autres continents ont considérablement augmenté, compte tenu des à-coups que subissent les chaînes d’approvisionnement. On constate jusqu’à des doublements des temps de transit et une inflation colossale des prix. En 2021, il n’était pas rare de voir des prix huit fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant crise pour l’expédition d’un container de 20 piedsvers les USA.
La nécessité de sécuriser les chaînes d’approvisionnement a également changé la donne. Les entreprises ont commencé à s’adapter à ce nouvel environnement, notamment en ne s’appuyant plus sur des sources uniques et en remettant en cause les stratégies industrielles du passé qui ont longtemps fait la part belle à la fabrication sur des grands sites en pays bas coût au profit d’une production plus régionalisée avec des sites plus flexibles.
La crise des composants inquiète de nombreux industriels, pouvons-nous espérer un retour à la normale cette année ?
La crise des composants est multiple et touche les composants électroniques, mais pas seulement. Pour ce qui concerne la disponibilité de composants électroniques, même si nous pouvons constater un léger mieux, le marché va rester très tendu toute l’année 2022 et une bonne partie de 2023.
La demande reste très forte, notamment dans le domaine de l’électronique grand public qui innove constamment et a besoin de plus en plus de composants, toujours plus sophistiqués. Le goulot d’étranglement principal est la quantité de galettes de silicium à partir desquelles sont fabriquées les puces électroniques.
Les process sont extrêmement lourds et complexes et il faut au moins deux ans pour démarrer une nouvelle usine. Des investissements massifs ont été lancés par plusieurs acteurs qui devraient graduellement entrer en production en 2023. Le plus gros acteur mondial en la matière est une société taïwanaise, TSMC. Les tensions actuelles entre la Chine et Taïwan ne vont pas contribuer à accélérer l’apaisement des marchés.
Pour ce qui concerne les autres types de fournitures en provenance de Chine, la politique stricte zéro Covid du Gouvernement chinois toujours en vigueur conduit à des mesures de confinement locales fréquentes pour des périodes variables selon les circonstances qui rendent la maîtrise des délais délicate. Celle-ci s’inscrit dans le temps et perdurera aussi longtemps que la menace Covid n’aura pas disparu.