Point de vue

« Qui est mieux placé qu'un expert-comptable pour parler de l'économie réelle ? »


Lionel Canesi est le nouveau président national de l’Ordre des experts-comptables. Associé du cabinet Wizziou, à Marseille, il a exercé de nombreuses fonctions syndicales et ordinales. Président du Conseil régional de l’Ordre de Provence-Alpes côte d’azur depuis 2016, il a fait de sa région un laboratoire des solutions qu’il souhaite proposer à la profession.

Lionel Canesi milite pour faire reconnaître la place centrale des experts-comptables dans l’économie.
Lionel Canesi milite pour faire reconnaître la place centrale des experts-comptables dans l’économie.


Lionel Canesi milite pour faire reconnaître la place centrale des experts-comptables dans l’économie. Il considère que la voix des professionnels du chiffre doit être plus forte : « En tant que premier conseil des TPE/ PME, nous sommes en permanence sur le terrain, en faisant bénéficier les chefs d'entreprise de notre expérience. Nous avons une crédibilité à porter les mesures gouvernementales. » Pour lui, « il faut que notre institution soit présente dans les médias pour faire de la pédagogie sur l'économie réelle ».
La crise sanitaire laisse beaucoup de dirigeants de petites et moyennes entreprises dans une situation difficile. Pour Lionel Canesi, les experts-comptables peuvent changer les choses, « en portant les mesures d’accompagnement avec conviction ». Il est convaincu que ces dernières ne seront sans doute pas suffisantes si les experts-comptables ne sont pas aux côtés des chefs d’entreprise : « Comment amorcer la reprise et comment éviter une crise sociale sans précédent sont pour nous des sujets fondamentaux de réflexion et d’action. »
La trésorerie constitue une réelle préoccupation pour bon nombre d’entreprises, même si, pour le nouveau président national de l’Ordre, il est aujourd’hui difficile de généraliser : « Il va falloir réfléchir au cas par cas. Il y a des entreprises qui, malgré la crise, ont tiré leur épingle du jeu, qui n'ont pas de soucis de trésorerie et qui ont même progressé en chiffre d'affaires là où d’autres font face à des difficultés. Il y a eu le PGE et les différentes aides qu’il va bien falloir rembourser. Nous allons devoir faire la part des choses entre solvabilité et viabilité. Pour les entreprises viables, nous devrons mettre en place un étalement des dettes Covid sur des durées plus longues. Une partie des PGE pourrait aussi être transformée en subventions d'État. Il sera sans doute moins cher de subventionner ces entreprises pour les aider à se relancer, plutôt que gérer un chômage de masse. Il faut rester positif. Il y a beaucoup d'agilité chez nos chefs d'entreprise. »
Quant aux entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise sanitaire, beaucoup ne pourront malheureusement être sauvées. « Le rôle de l’expert-comptable sera de les accompagner encore mieux que d'habitude pour éviter les défaillances. Il ne faudra pas hésiter à aller vers des procédures collectives, à se mettre sous la protection du tribunal de commerce. »

Gagner du temps pour sauver les entreprises
Face à une vague de dépôts de bilan, les tribunaux de commerce seront certainement submergés. Là encore, selon Lionel Canesi, les experts-comptables auront un rôle essentiel à jouer : « Nous pourrons accompagner les entreprises en difficulté, en étant mandataire ad hoc ou conciliateur. Pour les petites entreprises, il est même envisageable que les experts comptables puissent établir les plans de continuation et les déclarations de créances. Il faut gagner du temps si une telle situation se présente pour sauver un maximum d’entreprises. »
Les cabinets d’expertise-comptable semblent, pour l’instant, épargnées par les difficultés. Reste que le moral n’est pas au beau fixe, comme le confirme le président de l’Ordre national : « Beaucoup de nos équipes sont épuisées. Il y a de la nervosité ambiante qui pèse sur le moral de la profession. C’est pourquoi, le Conseil supérieur a créé une commission de développement des compétences relationnelles qui aura à cœur de trouver des solutions à la fois pour nos équipes et pour nos clients. Il faut qu'on les aide parce que la situation est compliquée. C'est aussi un message qu'il faut qu'on fasse passer au Gouvernement. À Marseille, suite à une manifestation, le ministre est venu annoncer le passage du Fonds de solidarité de 2 500 euros à 10 000 euros, mais le décret est sorti six semaines plus tard. L'effet d'annonce s’est donc transformé en défiance, qui se reporte sur les experts-comptables. Notre rôle d'expert-comptable est aussi de faire descendre le niveau de stress dans les cabinets. C'est capital avant la nouvelle période fiscale qui arrive. »

L’indépendance numérique au cœur de l’action

Parmi les axes forts du projet politique porté par Lionel Canesi, l’indépendance numérique de la profession tient une place privilégiée. Pour lui, premier sujet d’importance : la facture électronique. « Notre priorité est de développer "jefacture.com", afin que la plate-forme devienne rapidement opérationnelle, sans être faite contre les éditeurs. Il ne faut pas que ce soit un logiciel de facturation mais le concentrateur de toutes les factures électroniques des experts-comptables, de leurs clients et de l'environnement de la sphère économique privée. Il y a là un enjeu pour l'État. C’est d’ailleurs un message que je porterai auprès du ministre de l'Économie et de la relance. Si les experts-comptables disposent des données de plus en actualisées sur leurs clients, ils vont pouvoir donner des conseils encore meilleurs, encore plus rapides, grâce à de la data réactive, meilleures seront les chances de sauver les entreprises. »

     "En tant que président des experts-comptables, je ne peux pas            admettre que notre champ d'action soit réduit"

Un fonds d’investissement pour les start-up
Pour le président national de l’Ordre, l’effort va également porter sur la constitution du fonds d'investissement numérique : « Nous allons identifier les start-up performantes, déjà détectées dans nos deux incubateurs, à Paris et à Marseille. Nous verrons s'il est possible de faire l’Ordre au capital de ces structures. Soit les éditeurs bougent et la profession dispose des outils en adéquation avec ses besoins, soit les éditeurs ne le font pas et c’est la profession qui va bouger. Je ne peux pas accepter aujourd'hui qu'on ne fasse rien sur ce sujet capital pour notre avenir. Je n'ai pas été élu président du Conseil supérieur pour laisser faire… Je vais donc pousser pour que tous les Conseils régionaux créent leur incubateur pour détecter les start-up performantes. Le fonds d'investissement a, quant à lui, vocation à investir nationalement dans les start-up qui auront été détectées localement. Le Conseil supérieur est là pour faire le lobbying de la profession et définir une vision de la profession à long terme. Les conseils régionaux constituent, pour leur part, le bras armé de la profession. »

La fin de la séparation de l'audit et du conseil : un cataclysme

Lionel Canesi arrive à la tête de l’Ordre au moment où la profession de commissaire aux comptes est en pleine redéfinition. Pour lui, les deux professions ne pourront pas trouver de synergies sans éclaircissement… « J’ai déjà dit que la fin de la séparation de l'audit et du conseil serait pour moi un cataclysme pour la profession. Remettre en cause l'expert-comptable qui est sur le contractuel, le commissaire aux comptes qui est sur le légal, d'avoir le commissaire aux comptes chasse sur les terres de l'expert-comptable, c'est totalement absurde. Tant qu'on ne reviendra pas là-dessus, il y aura plus de synergie. Au final, le client ne comprend plus rien. Le plus important, ce n'est pas la chasse gardée de l'un ou de l'autre, c'est notre utilité dans l’accompagnement de nos clients entrepreneurs, surtout dans cette période de crise, de relance et de prévention des difficultés des entreprises. En tant que président des experts-comptables, je ne peux pas admettre que notre champ d'action soit réduit. Comment dire à une entreprise que les commissaires aux comptes qui certifient les comptes font en même temps du conseil ? S’il n’y a plus d'indépendance, il y a une perte de confiance et c’est préjudiciable pour les deux professions, leur réputation et leur image. »

Boris Stoykov et Jean-Paul Viart, Affiches Parisienn

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