Quand la Picardie s’empare de l’environnement
Comment agir pour que le développement durable devienne une composante inhérente aux actions et politiques publiques et non plus un secteur comme les autres ? Comment faire, à l’instar de Mr Jourdain qui faisait des vers sans le savoir, de l’environnemental au quotidien ? Pas de réponse miracle du côté des acteurs et décideurs économiques, mais des actions et projets qui s’égrènent au fil des ans pour asseoir les bonnes pratiques environnementales, et sensibiliser le plus grand nombre.
S’il fallait nommer un mentor en la matière, ce serait elle : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) Picardie chapeaute en relation avec un très large réseau de partenaires la vaste question du développement durable. « Notre projet, c’est de créer du lien entre les différentes familles d’acteurs auxquelles nous nous adressons, les industriels, agriculteurs, artisans et le citoyen consommateur, en impulsant les dynamiques », explique le directeur régional Christian Fabry. Et pour lui, le développement durable doit être porté par l’ensemble des acteurs des structures, et non pas n’en constituer qu’un élément. « Terre de grands espaces qui ne connaît pas les pressions liées à l’urbanisme, la Picardie n’a peut-être pas naturellement une sensibilité environnementale, mais justement, les actions qui y sont menées par des acteurs volontaires en sont sans doute d’autant plus louables… », sourit-il. Et il serait difficile d’être exhaustif, les actions de l’Ademe Picardie sont multiples et visent tous les publics (des collégiens aux chefs d’entreprise) mais avec un fil rouge : la mutualisation et la synergie. « Nous sommes dans une logique systémique, confirme Christian Fabry. Le travail que nous menons sur l’appel à projets des Territoires à énergie positive l’illustre bien. Nous accompagnons neuf territoires de la région [ndlr, Amiens Métropole, le syndicat mixte Baie de Somme 3 Vallées, la communauté de communes Picardie verte, des Portes de la Thiérache, celle du Vermandois (avec Bohain), du Val-de-Noye et du canton de Montdidier, l’ARC et l’UCCSA] labellisés comme territoires engagés. Ils sont invités à s’organiser pour que l’ensemble de leur politique soit questionnée par l’environnement. » Il reste certes du chemin à parcourir pour atteindre les objectifs fixés par les gouvernements (une hausse de deux degrés maximum d’ici 2100) mais les évolutions des mentalités et actions sont bel et bien déjà là. « Pour y parvenir, il faut que d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre soient divisées par deux au niveau mondial, rappelle Christian Fabry. Avec le principe dit du facteur 4 inscrit dans la loi Programmation fixant les orientations de la politique énergétique (Pope) de 2005 qui stipule que la France doit diviser par quatre ces émissions à l’horizon 2050. D’où les Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) mis en place par chaque région. »
Alternatives à la pétrochimie
La région justement s’est elle emparée de la question environnementale depuis le début du mandat de Claude Gewerc, dans une approche là aussi globale. Un fil rouge de la politique publique qui sous-tend les actions du conseil régional, et inscrit dans le Schéma régional de développement économique (SRDE). Avec comme hypothèse de base que l’environnement est un levier majeur de développement économique. La région a co-construit, avec de nombreux partenaires issus du monde de l’entreprise et de la recherche qu’elle a accompagnés au fil des ans, de nombreuses actions afférentes au développement durable. Son fer de lance : la chimie du végétal, « clairement conçue avec le sentiment qu’il fallait trouver des alternatives à la pétrochimie », glisse René Anger, conseiller spécial du président Gewerc. Le pôle de compétitivité IAR qui a vu le jour il y a dix ans en est une des parties émergées, suivi en 2012 par la création de Picardie innovations végétales enseignements et recherches technologiques (Pivert), qui vise à développer une filière française compétitive dans le secteur de la chimie végétale, à partir de la biomasse d’origine oléagineuse. L’idée étant de mettre en place des circuits courts à haute intensité capitalistique, entre le champ et l’usine, afin d’optimiser les process de transformation grâce à une valorisation total de la plante. Il s’agit in fine de remplacer la pétrochimie par l’agrochimie, en partie grâce aux bioraffineries, en utilisant les ressources du territoire. « Les agrocarburants en sont un des aspects, ils ont permis de fédérer et mobiliser le monde agricole et de les impliquer », estime-t-on dans l’entourage du président de région. Une dynamique à plus forte valeur ajoutée qui mobilise de nombreux acteurs (comme le Centre de valorisation des glucides – CVG – ou Improve, première plate-forme d’innovation européenne dédiée à la valorisation des protéines végétales) poursuivant une même ambition : créer l’agriculture de demain en respectant l’environnement. Le machinisme agricole s’inscrit en plein dans cette vision, avec du matériel moins lourd permettant de pallier le traumatisme des sols. « La région a structuré la bioéconomie, affirme René Anger, nous avons fait avec nos partenaires la démonstration que les secteurs industriels pouvaient être revisités à l’aide d’outils vertueux, en nous appuyant sur la recherche. » Une philosophie qu’a fait sienne Agro-transfert ressources et territoires depuis sa création en 1992 : « Nous répondons aux problématiques du monde agricole en interrogeons le monde de la recherche pour adapter et appliquer des projets conduits de façon bipartite », explique Ghislain Gosse, qui préside la plate-forme d’application (et réseau de transfert de la recherche agronomique. Agro-transfert s’est pour se faire fixé plusieurs axes stratégiques, dont celui de travailler sur le sol « pour une agriculture efficace et résiliente, en fixant notamment l’azote dans le sol », note son président qui travaille avec ses équipes sur plusieurs leviers : « Remettre le processus biologique dans l’agriculture, complexifier la rotation avec plusieurs cultures – pour un moindre usage des pesticides -, et qui permettront d’améliorer le rendement pour mettre sur pied la ferme 3.0, et repenser l’aménagement du territoire agricole en identifiant les zones sensibles ayant d’autres fonctions que celles liées à l’agriculture pour atteindre une moyenne pondérée en azote », énumère Ghislain Gosse. Le président d’Agro-transfert l’assure, « mettre en place des cultures pérennes et pratiquer une agriculture biologique permet de développer le concept de bioraffinerie et de créer du carbone renouvelable ». Des actions menées en lien étroit avec le monde industriel : « Notre conseil d’administration est ouvert depuis cinq ans aux industriels de l’agroalimentaire, aux associations environnementales et aux coopératives, cela participe de la dimension sociétale de notre action », explique Ghislain Gosse.
Bon pour l’environnement, et l’économie
La problématique environnementale ne se cantonne pas au seul secteur agricole, le pôle de compétitivité i-Trans a lui aussi axé ses recherches en ce sens, en mettant au point des programmes destinés à alléger les freins des voitures ou trains, et à en récupérer l’énergie. « L’aspect énergétique passe par de multiples actions, comme le volet du logement, celui de l’éolien avec Windlab ou les réseaux de chaleur dont Cogeban à Nesles est une illustration parlante, quel que soit le secteur concerné, l’objectif est toujours le même : ce qui est bon pour l’environnement améliore dans un même temps l’efficacité économique », explique le conseiller du président de région. La Picardie n’a pas à rougir des actions menées en matière de sensibilisation à l’environnement, et s’avère sur certaines pionnières en la matière, comme avec le Service public de l’efficacité énergétique (SPEE) qui a vocation à diminuer les coûts des réhabilitations des logements. À Verneuil-en-Halatte, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a lui aussi réalisé en 2013 une première en France en partenariat avec la Communauté de l’agglomération creilloise, sur des sols pollués de deux sites de Montataire, en les dépolluant grâce à la phytotechnologie (utilisation d’espèces végétales pour extraire ou contenir ou dégrader les pollutions).
Une des clés réside donc dans la mutualisation des moyens, à l’instar de la démarche d’écologie industrielle menée sur l’Espace industriel nord d’Amiens, sur lequel des entreprises sont invitées à travailler ensemble pour une meilleure synergie, qui offre en sus l’avantage de réduire leurs coûts. « Il faut travailler dans la durée sur ce qui modifie les comportements, en s’appuyant sur la recherche et l’innovation », assure René Anger. Christian Fabry croit lui beaucoup aux vertus des recycleries, nombreuses en Picardie : « C’est une notion picarde qui se développe en France et s’inscrit dans l’économie solidaire et circulaire avec la question du réemploi des objets. Cette pratique ne touche pas seulement les ménages modestes, de plus en plus de personnes viennent dans un souci de développement durable. Il faut passer de la logique de réemploi à une économie de la fonctionnalité de l’usage, ou comment se passer d’un bien tout en en ayant l’usage. » Une logique qui remet en cause le mode de consommation de monde industrialisé, et sans doute le cap le plus difficile à passer, mais qui serait pourtant une des clés de l’avenir de la planète.
CCIO, des solutions écologique… et économiques
La Chambre de commerce et d’industrie de l’Oise (CCIO) est proactive en matière de développement durable : « Le pôle Industrie et développement durable accompagne les entreprises de façon collective, via des clubs d’entreprises qui permettent le partage des bonnes pratiques. Ces rencontres sont aussi l’occasion d’assurer une veille technique et réglementaire », détaille Sandrine Tanniere à la tête du service. Les quatre conseillers techniques assurent également un travail de terrain auprès de ses ressortissants, en leur rendant régulièrement visite. « Les entreprises sont de plus en plus sensibilisées à cette problématique environnementale, remarque Vincent Demonchy, conseiller environnement, santé et sécurité. Elles mettent en place des technologies propres, qui constituent un atout pour leur compétitivité. Nous pouvons leur établir un diagnostic énergie, cet état des lieux du site permet de l’optimiser en modifiant les process pour récupérer la chaleur fatale afin de chauffer le bâtiment. » Les conseillers incitent également les entreprises à opter pour un éclairage Led, 60 à 70% moins énergivore qu’un éclairage classique, et à se pencher sur leurs déchets, pour mieux trier ceux en mélange, « ce qui permet de valoriser les bio-déchets, et de mettre en valeur certaines filières, comme la méthanisation », explique Sandrine Tanniere. La CCIO, et c’est une première dans la région, s’est associée à l’Ademe Picardie pour lancer le programme “Économie industrielle et territoriale” qui débutera en janvier 2016. « Quatre zones du département sont concernées –deux dans le Compiégnois, une dans le Grand Beauvaisis et une autre dans le Sud de l’Oise -, avec un réseau de plus de 2 000 entreprises pour lesquelles seront établis des diagnostics multi-flux, afin de trouver des solutions mutualisées valorisant les excédents d’énergie, pour que notamment leurs déchets deviennent des matières premières », dévoile Sandrine Tanniere. « L’idée, c’est de proposer aux entreprises des solutions opérationnelles », renchérit Vincent Demonchy. Le Tour de France de la biodiversité qui a fait étape en novembre pour la première fois en Picardie à la CCIO participe du même esprit : les dirigeants étaient invités à réfléchir aux enjeux de la biodiversité, et à découvrir les outils permettant de l’intégrer dans leur stratégie d’entreprise pour limiter l’impact négatif de leurs activités sur les ressources naturelles.