Prêt(e)s à pédaler ?

La bicyclette peut panser les plaies actuelles de nos sociétés et les faire évoluer d’une façon à la fois radicale et douce, raconte l’ouvrage Le Pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, d’Olivier Razemon. A condition de laisser plus souvent la voiture au garage...

Au XVe siècle déjà, Léonard de Vinci dessine l’ancêtre du vélo. Mais celui-ci, sous sa forme actuelle, est inventé au début du XIXe siècle… après l’automobile ! Le pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées d’Olivier Razemon (Ed. Rue de l’Echiquier) démarre sur cette étonnante genèse. Après, relate l’auteur, journaliste, spécialiste de la mobilité, le vélo va changer plusieurs fois de statut dans la société, passant de gadget pour bourgeois à la page, à machine à se rendre à l’usine chez les ouvriers, pour ensuite devenir accessoire de sport… Et aujourd’hui ? Propulsé en “totem écologique” par des candidats aux élections ou des entreprises soucieuses de verdir leur communication, réduit au rang d’accessoire pour bobos des grandes villes, le développement du vélo est victime “d’idées fausses” analyse l’ouvrage qui raconte en quoi ce véhicule d’apparence anodine représente un potentiel de transformation de la société.

8 000 euros d’économies par an pour un foyer. Très concrètement, pour commencer, à l’heure où la crise ronge le budget des ménages, le vélo peut contribuer à faire baisser le poste de dépenses de transport au profit d’autres, comme l’éducation ou la santé. Car entretenir une voiture coûte entre 6 000 et 8 000 euros par an d’après l’Automobile Club, rappelle Olivier Ramezon. Or, la plupart des trajets effectués quotidiennement font entre 500 mètres et 10 kilomètres, une distance praticable à vélo… Par ailleurs, le vélo entraîne avec lui un écosystème économique qui fournirait du travail à 35 000 personnes en France : fabrication, distribution, tourisme, infrastructures… Ici et là sur la planète, le changement est initié, raconte l’ouvrage. Des professions, comme les coursiers, y compris en France, se saisissent du vélo dans leurs pratiques quotidiennes. Et, depuis Montréal, les déménageurs à vélo ont commencé à essaimer vers l’Europe : ils transportent jusqu’à 300 kg pour des prix records. Outre être adapté à des activités particulières, le vélo permettrait de réaliser des économies globales pour la communauté : pour la France, les 4,4 milliards de kilomètres parcourus chaque année permettraient à la Sécurité sociale d’économiser 5,6 milliards d’euros en raison d’un moindre recours aux services sanitaires et d’un absentéisme réduit, d’après un cabinet spécialisé Inddigo, cité dans l’ouvrage.

D.R.

L’effet coup de pédale ? “Aujourd’hui, on est dans une société du ‘tout-voiture’, et cela a beaucoup de conséquences graves. Il ne s’agit pas de remplacer un mode de transport par un autre, mais de multiplier le nombre de trajets en vélo”, explique Olivier Ramezon. Car au-delà de ces avantages immédiats, la pratique du vélo peut jouer le rôle de déclencheur d’une évolution sociétale. Par exemple, contrairement à la voiture, on peut le réparer soi-même. C’est l’“obsolescence déprogrammée”. Dans des ateliers de réparation (associations ou entreprises d’insertion), on vient avec son vélo à réparer, on se fait aider par des volontaires contre une faible cotisation. Mais les freins sont nombreux à cette évolution sociétale. “Pour faire un trajet court, on n’a pas forcément besoin de la voiture, mais cela demande une adaptation de ses habitudes. Or, il y a une absence de prise de conscience, tout le monde trouve un prétexte pour dire ‘ce n’est pas pour moi’…”, précise Olivier Ramezon. Et la voiture demeure aujourd’hui considérée comme seule légitime sur la voirie. Reste l’étage politique : là, il faut en passer par une “transition cyclable, un choix politique”, explique l’ouvrage. Tout un programme, puisqu’il faut repenser un aménagement urbain largement conçu pour la voiture : limiter la vitesse en ville à 30 km/ heure, défaire les aménagements qui bloquent les itinéraires cyclistes, penser les schémas cyclables à l’échelle intercommunale, synchroniser le feu de signalisation selon la vitesse du vélo, environ 20 km/ heure… Des pratiques courantes dans certains pays du Nord de l’Europe. Et en France ? “2 à 3% des trajets sont faits en vélo, d’après les chiffres de l’Union européenne. C’est très peu par rapport à des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark. Aujourd’hui, il n’y a pas de volonté politique ferme affirmée au plus haut niveau de l’Etat. Il y a des initiatives ponctuelles ou locales”, explique Olivier Ramezon. Pour l’auteur, les politiques publiques françaises, souvent tendues vers les grands projets ou les solutions technologiques, négligent le potentiel du vélo, victime de son apparente simplicité. “Il n’est pas pris au sérieux”, regrette Olivier Ramezon. Après l’effet du battement d’ailes du papillon, l’effet du coup de pédale…