Pour se nourrir, l'Indonésie risque une déforestation massive

Pour ne plus dépendre des importations de riz et nourrir ses 280 millions d'habitants, l'Indonésie a lancé un vaste projet visant à l'autosuffisance alimentaire mais qui, en Papouasie, risque de se traduire, selon des ONG...

Vue d'une zone déboisée qui sera convertie en plantation de cannes à sucre à Mandiri Jagebob, dans la région de Merauke, en Papouasie du Sud, le 17 mars 2025 © Yusuf WAHIL
Vue d'une zone déboisée qui sera convertie en plantation de cannes à sucre à Mandiri Jagebob, dans la région de Merauke, en Papouasie du Sud, le 17 mars 2025 © Yusuf WAHIL

Pour ne plus dépendre des importations de riz et nourrir ses 280 millions d'habitants, l'Indonésie a lancé un vaste projet visant à l'autosuffisance alimentaire mais qui, en Papouasie, risque de se traduire, selon des ONG, par la plus grande déforestation au monde.

L'ampleur réelle du projet est difficile à déterminer et même les déclarations du gouvernement sur sa taille varient.

Au minimum, l'objectif est de planter plusieurs millions d'hectares de riz et de canne à sucre dans la région de Merauke, en Papouasie, région reculée de l'est de l'Indonésie.

Menaçant des espèces en danger ainsi que les engagements climatiques de Jakarta, le projet risque aussi d'accentuer les violations des droits humains dans une région en proie à des troubles et à des abus militaires présumés, sur fond d'insurrection séparatiste.

La déforestation est déjà en cours, avec plus de 11.000 hectares défrichés, soit plus que la superficie d'une ville comme Paris, indique Franky Samperante de l'ONG de défense de l'environnement et des droits des autochtones Yayasan Pusaka Bentala Rakyat.

L'analyse réalisée par le groupe Mighty Earth et la start-up The TreeMap montre les zones déjà défrichées, notamment des forêts primaires et secondaires naturelles sèches et marécageuses, ainsi que des forêts secondaires de mangrove et des zones de savane et de brousse.

"Habituellement, la déforestation résulte du fait que le gouvernement ne fait pas son travail", souligne pour l'AFP Glenn Hurowitz, responsable de Mighty Earth.

"Mais dans ce cas précis, c'est en fait l'Etat qui dit que nous voulons défricher certaines de nos dernières forêts, tourbières riches en carbone, habitats d'animaux rares", ajoute-t-il.

Tragédie

Pour les défenseurs de l'environnement, ce projet méconnaît l'écosystème local. 

"En Papouasie du Sud, le paysage et l'écosystème sont constitués de forêts de plaine", explique M. Samperante pour qui "il y a souvent une incompréhension, voire un dénigrement" de ces écosystèmes.

Selon une cartographie réalisée par Mighty Earth, le projet menace un écosystème plus large, notamment des tourbières et des forêts qui, selon le groupe, devraient être protégées par un moratoire gouvernemental sur le défrichement.

"La tragédie de ce projet, c'est que l'Indonésie a fait beaucoup de progrès pour briser le lien entre l'expansion agricole et la déforestation", souligne M. Hurowitz. "Malheureusement, ce projet à lui seul menace de compromettre tous les progrès".

Le vaste archipel présente l'un des taux de déforestation les plus élevés au monde. Dans le même temps, la Papouasie conserve certaines des plus grandes étendues encore intactes.

Le groupe de réflexion indonésien Celios estime qu'un tel niveau de déforestation pourrait totalement remettre en cause l'objectif de Jakarta de zéro émission nette d'ici 2050.

Mais pour le gouvernement du président Prabowo Subianto qui a fait de ce projet d'autosuffisance alimentaire l'une de ses priorités, les critiques émises ignorent les réalités agricoles et économiques de l'Indonésie.

En janvier, il a déclaré que le pays était bien parti pour stopper ses importations de riz d'ici fin 2025.

Sollicité par l'AFP, le ministère de l'Agriculture n'a pas réagi dans l'immédiat.

En Papouasie, les semis de riz vont bon train. Dans le district de Kaliki, un journaliste de l'AFP a pu voir des agriculteurs, soutenus par des soldats, cultiver des rizières sur des terres récemment défrichées.

"Cet endroit (était) autrefois un terrain improductif et négligé", a assuré Ahmad Rizal Ramdhani, un soldat en treillis, faisant office de chef de groupe. 

Mais l'affirmation est remise en cause par l'analyse satellite de Mighty Earth, qui a découvert qu'au moins deux zones de la région défrichées pour la riziculture chevauchaient des tourbières officiellement répertoriées.

Un défrichement auquel l'armée apporte un large concours. Ainsi Yohanis Yandi Gebze, un agriculteur local, explique-t-il que les soldats lui ont donné "des outils, du matériel agricole et des machines" pour la culture du riz.

Intimidation

Ex-colonie néerlandaise, la Papouasie a déclaré son indépendance en 1961, mais l'Indonésie voisine en a pris le contrôle deux ans plus tard, en promettant un référendum. En 1969, un millier de Papous ont voté en faveur de l'intégration à l'Indonésie, lors d'un scrutin reconnu par les Nations unies.

Ce vote est régulièrement critiqué par les indépendantistes mais Jakarta fait valoir que sa souveraineté sur la Papouasie a été établie par l'ONU.

Depuis lors, Jakarta est accusé de réprimer violemment un conflit séparatiste qui dure depuis des décennies.

Concernant ce projet agricole, "la communauté se sent intimidée", indique Dewanto Talubun, directeur du groupe de défense de l'environnement et des droits humains Perkumpulan Harmoni Alam Papuana, basé à Merauke.

"Tous les membres de la communauté ne sont pas d'accord avec ce projet mais ils ne peuvent pas directement refuser", ajoute-t-il.

"Presque tous les jours, des violations des droits de l'homme se produisent", ajoute M. Samperante.

Des doutes surgissent également concernant la viabilité du projet. "Les sols de Merauke sont probablement trop acides et le climat trop extrême... pour cultiver du riz", estime David Gaveau, fondateur de The TreeMap.

Les voix critiques ne contestent pas les besoins de sécurité alimentaire de Jakarta, mais estiment que le projet pourrait être mené ailleurs, sur des terres agricoles abandonnées.

"Cela devrait être fait dans des endroits capables de l'absorber. Sans détruire le magnifique patrimoine naturel et les terres communautaires de l'Indonésie", juge M. Hurowitz.

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