Pour Marine Le Pen, des rapports aux électeurs juifs toujours contrariés

En affichant son soutien à Israël, où elle n'a jamais pu se rendre, et en affirmant que le RN "protège" les Français de confession juive, Marine Le Pen multiplie les messages envers une...

La patronne des députés Rassemblement national (RN) Marine Le Pen, le 31 octobre 2023 à l'Assemblée nationale © EMMANUEL DUNAND
La patronne des députés Rassemblement national (RN) Marine Le Pen, le 31 octobre 2023 à l'Assemblée nationale © EMMANUEL DUNAND

En affichant son soutien à Israël, où elle n'a jamais pu se rendre, et en affirmant que le RN "protège" les Français de confession juive, Marine Le Pen multiplie les messages envers une communauté qui lui était jusqu'alors électoralement hostile.

"Marine Le Pen? Elle a tourné sa veste, mais elle aura toujours les idées de son père", tranche Nessod, 68 ans, devant un supermarché Hypercasher du XIXème arrondissement de Paris, au cœur d'un quartier où des milliers de familles juives sont installées.

"Détail" de l'Histoire, "Durafour... crématoire!": Jean-Marie Le Pen demeure depuis les années 1980 l'incarnation politique de l'antisémitisme.

En 2007, pour sa cinquième et dernière candidature à la présidentielle, le fondateur du Front national ne recueillait ainsi que 4,4% des suffrages juifs, selon une étude de l'Ifop menée par le politologue Jérôme Fourquet.

Lorsqu'elle prend la tête du parti en 2011, sa fille Marine Le Pen entend rompre avec cet encombrant passif et dénonce un "nouvel antisémitisme", selon elle alimenté par les populations arabo-musulmanes qui vivent dans les banlieues, apparu avec la deuxième intifada au début des années 2000. 

"Elle a analysé que faire sauter le verrou qui empêche la communauté juive de voter pour elle serait une étape de sa banalisation et de sa normalisation", note Jérôme Fourquet.

"Dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif", avait déjà lancé en 2010 Marine Le Pen, au moment où les Français de confession juive, jusqu'alors majoritairement liés à la gauche, confirmaient une "droitisation" de leur vote: 45,7% pour Nicolas Sarkozy au premier tour en 2007 contre 31,18% dans l'ensemble de la population, selon la même étude Ifop.

Score triplé

L'exclusion de dizaines de membres du FN - dont celle de Jean-Marie Le Pen - autant que l'inlassable dénonciation des actes antisémites devaient lever les réticences de la communauté (environ 400.000 électeurs) à l'endroit de Marine Le Pen.  

Début octobre, après l'attaque du Hamas en Israël, le porte-parole du Rassemblement national Sébastien Chenu voulait ainsi convaincre que "nos compatriotes de confession juive savent qui les protège", sous-entendu le RN, en affirmant que les relations entre le parti d'extrême droite et les "Français israélites" avaient évolué.

Certes, Marine Le Pen peut s'enorgueillir d'avoir triplé le score du parti d'extrême droite auprès des Français de confession juive dès la présidentielle de 2012, en recueillant 13,5% de leurs suffrages.

Mais, dans les bureaux de vote correspondant aux fortes densités communautaires, au nord et à l'est du parc parisien des Buttes-Chaumont ou dans le quartier de la "Petite Jérusalem" à Sarcelles (Val-d'Oise), la candidate Le Pen a semblé stagner aux échéances de 2017 et 2022, toujours trois à quatre fois plus faible que son score national.

"Ça progresse petit à petit, mais ça ne suffit pas. Manifestement, une partie de cet électorat a encore un verrou avec Le Pen", observe Jérôme Fourquet, en relevant notamment la persistance d'un handicap patronymique.

Zemmour

Dans le XIXe arrondissement de la capitale, "on n'est pas dupe de Le Pen", confirme une habitante, Joëlle. "Mais il y a des juifs qui voteront pour Zemmour", complète une voisine, Carole, 55 ans.

Car l'ex-polémiste a créé la surprise dans ces mêmes bureaux de vote lors de la dernière élection présidentielle, jusqu'à 35% à Sarcelles contre moins de 10% pour Marine Le Pen - alors que, à l'échelle nationale, le premier avait recueilli 7,07% des suffrages et la seconde 23,15%.

"Eric Zemmour n'a pas fait mystère de sa judéité. Et même si certains de ses propos ont pu être choquants, notamment ses critiques sur l'enterrement en Israël de victimes de Mohamed Merah, toute une partie de l'électorat juif a voté pour lui", constate le politologue, en confirmant par ailleurs la force d'attraction de la droite dure dans la communauté juive.

Laquelle ne profite pourtant toujours pas à Marine Le Pen: à Sarcelles, au deuxième tour, la fille de Jean-Marie Le Pen n'a recueilli que 25% des suffrages. 

Et dans les bureaux consulaires en Israël, alors qu'elle n'avait obtenu qu'environ 3% des suffrages au premier tour contre plus de 50% pour Eric Zemmour, une part congrue des électeurs de l'ex-journaliste a voté pour elle au second tour: elle n'avait convaincu qu'environ 15% des votants.

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