Industries et start-up du secteur médical

Pour les acteurs de la filière santé, la meilleure stratégie, c’est restructurer !

En mars 2020, le président Macron avait évoqué la nécessité d’un retour à plus de souveraineté dans le domaine de la santé. Un an plus tard, certains acteurs pensent qu’il est surtout nécessaire de restructurer la filière.

Pour beaucoup d'acteurs de la filière santé, les pouvoirs publics doivent notamment miser sur les start-up comme Innobiochips à Lille (@Sébastien Gras)
Pour beaucoup d'acteurs de la filière santé, les pouvoirs publics doivent notamment miser sur les start-up comme Innobiochips à Lille (@Sébastien Gras)

C’était le 16 mars 2020. Emmanuel Macron annonçait le confinement général du pays, pour une durée de quinze jours, lors d’une allocution à la télévision. Mais ce jour-là, le président de la République prenait aussi un engagement afin, notamment, de remédier à la pénurie de masques qui frappait le pays : «Notre priorité est de produire davantage en France et en Europe. Nous devons retrouver notre indépendance. Nous ne pouvons plus dépendre des autres. Et nous continuerons à le faire le jour d’après.»

«Le compte n’y est pas encore !»

Douze mois plus tard, les choses ont juste un peu évolué, et pas mal d’acteurs de la filière sont dubitatifs. «La France ne peut pas agir seule sur un secteur aussi lourd», affirme Frédéric Gauchet, président-fondateur de Minakem, une pépite de l’industrie chimique, filiale du groupe Minafin. «Elle ne peut s’affranchir de ce que souhaite l’Europe, qui elle-même ne peut le faire sans tenir compte de l’avis du reste du monde.» L’organisation de la filière santé semble donc bien plus complexe qu’il n’y paraît…

D’autant que les pouvoirs publics semblent peiner à se soumettre aux vœux présidentiels. «On a le sentiment qu’il y a une oreille un peu plus attentive de la part des décideurs politiques, c’est vrai», affirme Etienne Vervaecke, directeur d’Eurasanté à Lille, un pôle qui héberge plusieurs start-up dans le domaine médical. «Mais le compte n’y est pas encore. Des appels à projet ont été impulsés, certes. Mais le soutien de l’Etat en intention de crédit à déployer se compte en centaines de millions d’euros, soit le prix de deux stades de foot.»

Et il exprime son désarroi sans la moindre ambiguïté :

«On est loin des 620 millions réclamés par la Ligue de football professionnelle pour sauver ses championnats. Oui, la santé est prioritaire dans les paroles mais beaucoup moins dans les faits.» 

Selon Etienne Vervaecke, la mutation de la filière santé doit d’abord passer par une réflexion globale : «L’Etat n’a pas encore fait son aggiornamento

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"Oui, la santé est prioritaire dans les paroles mais beaucoup moins dans les faits" déplore Etienne Vervaecke, directeur du GIE Eurasanté. © Maxime Dufour Photographies


Ne pas céder à l’émotion : agir à froid !

En fait, les industriels sont sceptiques sur la nécessité de renverser la table. «Il y a eu beaucoup d’émotions suscitées par l’apparition de la pandémie, poursuit Frédéric Gauchet. Or, malgré une explosion de la demande, on a été capables de faire face. Il y a eu des tensions, mais pas de rupture sur les médicaments. Aucun patient ne peut dire qu’il n’a pas reçu son traitement.»

Par ailleurs, il pointe du doigt les risques liés à toute forme de précipitation : «Il y a aujourd’hui des stocks importants d’hydrochloroquine, faits dans l’urgence, et qui ne serviront certainement jamais à rien.» Le chimiste mise plutôt sur une filière capable de s’adapter : «Aujourd’hui, on a du mal à fournir les vaccins. Mais qui était sensible à ça, il y a un an ? Une pénurie des polypropylènes, qui servent à fabriquer les seringues, menace à son tour. En fait, les problématiques changent tout le temps. Donc, il nous faut une vraie politique à froid.»

Du côté des spécialistes, on s’étonne de la rigidité des autorités. «En matière de vaccin, les pouvoirs publics français ont délibérément fait le choix de privilégier la solution Sanofi, poursuit Etienne Vervaecke. Ils n’ont pas pris au sérieux les innovations d’entreprises plus jeunes, comme Moderna. Elles n’ont pas voulu voir d’autres solutions, et même en France. C’est une des raisons pour lesquelles on a un rythme de déploiement aussi lent des vaccins.»

Alors pourquoi cette frilosité ? «Les autorités ont du mal à prendre au sérieux la communauté d’Healthtech et de Biotech en particulier, assure Etienne Vervaecke, en défenseur invétéré des start-up. Or, les innovations pharmaceutiques et thérapeutiques vaccinales sont de moins en moins le fait des Big Pharma. Malheureusement, en France, on n’aide pas les scientifiques à développer les théories de rupture. Les autorités sont frileuses dans la prise de risques.»

L’histoire de Valneva semble le confirmer. Ce laboratoire, basé à Nantes et à Lyon, a reçu une commande de 40 millions de doses de son vaccin émanant de la Grande-Bretagne. Résultat, ses dirigeants s’apprêtent à implanter une unité de production en Ecosse. Depuis, l’entreprise a aussi reçu une commande de 60 millions de doses de l’Europe. «Pourquoi n’a-t-elle pas fait l’objet de précommandes de la part des autorités françaises ?» s’agace le directeur d’Eurasanté.

Acheter français, c’est aussi créer des emplois

Et les faits semblent lui donner raison. «Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) a injecté un milliard dès le début de la crise», développe Etienne Vervaecke. Il s’agit d’un bureau du département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis, en charge des maladies émergentes. «Il faut injecter l’argent là où c’est le plus utile et non pas le plus traditionnel.» Et pas seulement : il souhaite que les pouvoirs publics jouent le jeu jusqu’au bout. «Il peut y avoir une pluie de milliards d’euros, si vous n’offrez pas des perspectives claires aux investisseurs sur le 'quand' et le 'comment' les pouvoirs publics vont acheter les produits fabriqués en France, les gens y regarderont à deux fois avant de réindustrialiser.» Il va même encore plus loin : «Acheter français crée aussi des emplois de proximité et a un impact évident sur l’environnement.»

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Relancer la production en France nécessite des soutiens publics et privés. © Viewfinder


Pour autant, faut-il envisager de relocaliser l’ensemble de la filière comme le président de la République l’avait laissé entendre ? «Les usines, les lignes de production que nous possédons dans d’autres pays, c’est un patrimoine pour nos entreprises, nuance Frédéric Gauchet, patron de Minakem. Devoir tout rapatrier coûterait une fortune !» D’autant qu’une telle politique prendrait des années à se mettre en place. «Déjà, il ne faudrait pas que les stratégies évoluent au gré des élections ou du renouvellement du Parlement européen…» ajoute Frédéric Gauchet. Et ce n’est pas tout. «Réindustrialiser notre pays, ça doit aussi passer par la révision des critères d’achat des acheteurs publics, poursuit Etienne Vervaecke. Si on met plein d’argent pour réindustrialiser, mais qu’à la fin les boîtes qui ont un appareil industriel chez nous vendent partout sauf en France… On se retrouvera dans quinze ans, à la prochaine épidémie, avec le même constat attristé que l’on n’a pas progressé assez vite.»

L’exemple Macopharma à Tourcoing

L’exemple d’une entreprise nordiste illustre bien là où le bât blesse. Au début des années 2010, l’entreprise Macopharma, basée à Tourcoing, avait relancé son unité de production de masques. Mais elle avait dû la refermer quatre ou cinq ans après, faute de réassort du stock stratégique par l’Etat. En avril dernier, au cœur de la première vague de la pandémie de Covid-19, Macopharma a, de nouveau, relancé sa ligne de production : une nouvelle fois, les commandes de l’Etat ou des collectivités ne sont pas tombées.

«Il faut de la ténacité pour réindustrialiser, conclut Etienne Vervaecke. Il faut aussi de la constance et un soutien privé et public au long cours. Les appareils de production coûtent cher, les autorisations administratives sont longues. Or, on est dans un pays où la haute fonction publique me semble très insuffisamment imprégnée des enjeux spécifiques au domaine de la santé.». Son constat final est sans appel : «On est dans la République du Tweet. Il faut donner le sentiment qu’on s’y intéresse, mais passé le mauvais de la crise, on oublie… »

Chez GSK à Saint-Amand, on mise sur l’innovation

Les industriels sont unanimes pour vanter les dispositifs gouvernementaux afin de faire face à la crise. «Notre entreprise n’a pas fait appel au plan de relance», dévoile Eric Moreau, directeur de l’usine de Saint-Amand du groupe GSK, premier «labo» pharmaceutique international en termes d’implantation industrielle, logistique et d’emplois en France, et qui a investi 90 millions d’euros sur le territoire national en 2019. «Mais nous avons accueilli très favorablement les mesures pour accélérer les investissements en faveur du secteur de la santé. Ces choix viennent conforter la volonté de la France de renforcer son attractivité dans ce secteur.» Mais il ne s’agit que de mesures temporaires, destinées à atténuer les effets de la crise, comme d’autres le font remarquer. Il n’y a pas de projet de fond selon eux. D’ailleurs Eric Moreau, lui-même, émet un léger bémol : «Les décisions d’investissement se prennent dans la durée et tiennent compte de nombreux facteurs. A côté du soutien direct, le dialogue avec les entreprises privées, la prévisibilité de la politique du médicament et la reconnaissance de l’innovation que nous apportons sont des points importants pour renforcer l’attractivité de la France, qui permettront les investissements de demain.» Services de l’Etat et acteurs privés doivent imaginer ensemble la santé de demain…