Plus de cash et pas de solution en vue : la crise du dinar s'enlise au Kosovo

"Le salaire est en retard, mais pas les factures. Je ne sais pas comment je vais faire". Plus d'un mois après l'interdiction des transactions en dinars, les Serbes du Kosovo sont démunis. Et ni...

Un vendeur ambulant montre des billets de dinars serbes à Gracanica, le 1er mars 2024 au Kosovo © Armend NIMANI
Un vendeur ambulant montre des billets de dinars serbes à Gracanica, le 1er mars 2024 au Kosovo © Armend NIMANI

"Le salaire est en retard, mais pas les factures. Je ne sais pas comment je vais faire". Plus d'un mois après l'interdiction des transactions en dinars, les Serbes du Kosovo sont démunis. Et ni Pristina, ni Belgrade, ne semblent vouloir bouger.

Depuis le 1e février, les transactions commerciales en dinars, jusqu'alors tolérées dans les zones où la population est majoritairement serbe, sont interdites au Kosovo. Seul l'euro, la monnaie officielle, est autorisé.

Or une grande partie de la population serbe touche un salaire ou des aides de l'Etat serbe, en dinars - et souvent en liquide. Des milliers de retraités bénéficient aussi de ce système.

Belgrade, qui consacre environ 120 millions d'euros de son budget au Kosovo, finance ainsi un système d'institutions dites "parallèles" : tenus par et pour la minorité serbe, elles assurent une partie des services publics. Et s'assure la fidélité des Serbes du Kosovo.

Mais depuis le 1e février, les camions remplis de billets qui venaient de Serbie financer les institutions ont été repoussés à la frontière, les banques ont imposé des restrictions sur le retrait de dinars, et le flot s'est tari. 

Dans le nord du Kosovo, à quelques dizaines de kilomètres de la Serbie, il est encore possible de s'organiser pour aller retirer de l'argent. Mais au sud de la rivière Ibar, le manque de cash devient alarmant. Selon la chaine de télévision publique serbe RTS, il n'y a plus un seul dinar au sud de Mitrovica depuis jeudi. 

A Gracanica - où se trouve une Eglise orthodoxe célèbre dans toute la région, l'interdiction du dinar est sur toutes les lèvres.

"Le salaire est en retard, mais pas les factures. Je ne sais pas comment je vais faire", explique Snezana Vujovic, une infirmière de 43 ans. 

Depuis des semaines, les gens font la queue devant la Banque postale serbe - le seul endroit où les Serbes du Kosovo peuvent retirer l'argent que leur verse Belgrade.

"La situation économique est déjà suffisamment difficile, et sans l'argent de la Serbie, c'est encore plus dur", soupire Momir Jeftic, 68 ans, rencontré par l'AFP à côté d'un distributeur désespérément vide.

"Maintenant, si on veut de l'argent, il faut aller en Serbie", ajoute ce retraité, qui songe à piocher dans les réserves de nourriture qu'il a amassée en prévision des jours sombres.

Depuis le 1e février, beaucoup de Serbes du Kosovo ont fait le voyage jusqu'en Serbie - à 10 euros le voyage par passager, certains en ont même fait un moyen d’arrondir leur fin de mois. 

Fin d'un système

"Tout ça c'est juste fait pour faire du mal aux citoyens", balaye Dragan Colic, 68 ans. "Parce que plus l'argent rentre, plus le Kosovo est riche".

Pristina a expliqué qu'il ne s'agissait pas d'interdire à la Serbie de verser des salaires aux Serbes du Kosovo, mais que Belgrade devait le faire en euros. Pour le Premier ministre, Albin Kurti, il s’agit de combattre "le financement illicite, le blanchiment… des choses qui ont eu lieu dans le passé".

Le Kosovo a cependant décidé, poussé par une partie de ses alliés occidentaux, de rallonger la période de transition avant l'interdiction totale des transactions en dinars. D'un mois à l'origine, elle est passée à trois.

La Serbie n'a elle eu de cesse de dénoncer un "crime contre l'humanité".

Pour Branimir Stojanovic, activiste serbe du Kosovo basé à Gracanica, l'interdiction du dinar pourrait signer la fin des institutions parallèles.

"L'aide financière de la Serbie alimente littéralement le seul moteur qui fonctionne ici", explique-t-il à l'AFP. "Si vous enlevez l'essence, en fait vous avez juste fait en sorte que tout le système s’arrête". 

Ferdi Ahmeti, est épicier à Gracanica. Rom, il est pris entre deux feux. Et ses recettes ont diminué de moitié dès le premier jour de la crise. 

"Pour moi c’est la même chose, dinars ou euros. Le matin je dois changer les dinars en euros pour acheter des produits, parce qu’on ne peut pas payer en dinars au marché de Pristina, uniquement en euros. Mais la plupart de mes clients me payaient en dinars".

L'épicier n'espère qu'une chose. "Qu'on trouvera bientôt une solution".

34KX9UP