Peur sur Cavani, le camp de migrants qui cristallise les colères à Mayotte
Le stade de Cavani est devenu le symbole des problèmes de Mayotte. Plus grande enceinte sportive de l'île, il abrite plusieurs centaines de migrants africains traumatisés, souvent des Somaliens et Congolais. A l'extérieur...
Le stade de Cavani est devenu le symbole des problèmes de Mayotte. Plus grande enceinte sportive de l'île, il abrite plusieurs centaines de migrants africains traumatisés, souvent des Somaliens et Congolais. A l'extérieur, des collectifs en colère réclament leur expulsion.
Surplombant le stade, les quartiers de Cavani et M'Tsapere, des maisons parfois cossues entourées par la végétation luxuriante de Mamoudzou.
A l'intérieur, accessible par un petit chemin entravé de blocs de béton, surgissent d'abord deux toilettes mobiles nauséabondes.
Deux enfants se chamaillent pour une bouteille d'eau. Le camp commence 50 mètres plus loin: un enchevêtrement d'abris rudimentaires surmontés de bâches bleues qui longent l'impeccable terrain de football.
"Je crois qu'il reste 104 abris, ça fait environ 250, 300 personnes", décompte Daniel Gros, le référent de la Ligue des droits de l'Homme à Mayotte et l'un des rares à se rendre encore, malgré les blocages, "tous les jours" à Cavani.
Avec douceur, il répond aux questions d'un groupe de femmes venues du Burundi.
Amida, mère d'un bébé né à Mayotte, s'inquiète au sujet de sa carte de séjour. "La préfecture est fermée, par les collectifs. Quand elle sera rouverte, on t'appellera", la rassure Daniel Gros.
Il reprend sa visite, un mot pour chacun. Un peu plus loin, légèrement en hauteur, c'est "le camp des Somaliens", où quelques hommes s'expriment dans un anglais hésitant.
- Faim et dénuement -
Leurs plaintes sont toutes les mêmes.
Les conditions sanitaires: l'eau vient d'un torrent qui fait le tour du stade, provoquant "diarrhées" et "infections intimes".
La faim: depuis une dizaine de jours, ils ne reçoivent plus de bons alimentaires, les locaux des associations d'aide humanitaire étant bloqués par des cadenas installés par les manifestants.
La sécurité: "des gens nous jettent des pierres, ils nous insultent, nous terrorisent. On a fui notre pays à cause du terrorisme mais ici, c'est presque pire", souffle Chantal, 30 ans, venue de la République démocratique du Congo, assise sur un tronc d'arbre pour allaiter son dernier né.
Le stade de Cavani, où les premiers migrants africains sont arrivés en milieu d'année dernière, est à l'origine du blocage massif qui paralyse l'île française depuis le 22 janvier.
Dès mi-janvier, le gouvernement a pourtant promis son démantèlement, entamé quelques jours plus tard sans faire retomber la colère des collectifs.
Un contexte exacerbé par la violence des bandes de jeunes des quartiers voisins, qui se tourne à l'occasion contre les occupants du camp. Le 14 janvier, 17 migrants ont été blessés dans ces violences à coups de pierres et de barres de fer.
Claude, arrivé de RDC il y a quatre mois, refuse de "faire des généralités". "Des Mahorais viennent chaque vendredi nous amener du pain, des habits", souligne-t-il, adossé à un arbre dans la partie du camp où les Congolais se sont installés.
Là, les installations semblent plus pérennes. Deux voitures désossées, abandonnées sur place avant la création du camp, servent à stocker des affaires et à se réfugier pendant les lourdes averses.
- "Si on ne fait rien"... -
A l'extérieur, les collectifs "montent la garde" sous la chaleur écrasante de l'été austral et ont posé un cadenas sur l'entrée principale du stade, qui n'empêche personne d'y rentrer ou de sortir, ni les entraînements de foot de continuer.
Chez aussi, la peur domine. "Ce sont des terroristes et si on ne fait rien, ils vont arriver en masse", lance un membre de ces "Forces vives", le collectif à l'origine des barrages routiers paralysant l'île, au sujet des migrants.
Asma, qui tient à rester anonyme, est plus mesurée et rappelle ses origines comorienne et malgache pour évacuer toute accusation de racisme. Mais cette jeune cheffe d'entreprise est excédée par l'insécurité ambiante, au point de bientôt renvoyer ses trois enfants en Hexagone aux côtés de leur père militaire.
Depuis que la famille a été menacée et insultée par "des Africains", "ma fille de neuf ans me dit qu'elle préfère repartir", affirme-t-elle en renvoyant dos à dos les bandes de jeunes et les migrants.
Perturbée par les blocages, notamment d'associations humanitaires qui pourraient offrir une solution d'hébergement aux migrants, le démantèlement du camp n'a pas avancé depuis la dernière opération, le 1er février, qui avait vu l'évacuation d'une centaine de migrants.
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