Paris, grandiose et néfaste illusion ?
Le pouvoir politique s'obstine à promouvoir Paris comme locomotive de la France. Une dangereuse illusion, qui va à rebours des impératifs de développement harmonieux du territoire, de l'écologie et de l'intérêt des Franciliens, montre Olivier Razemon, dans son dernier ouvrage.
Ils se sont vus accusés de propager le virus dans l'ensemble du territoire... En 2020, durant la pandémie, les Parisiens ont joué le rôle de bouc émissaire. Mais ce n'est là que le dernier acte d'une pièce qui se joue depuis bien longtemps en France : celle de l'antagonisme entre les habitants de la Capitale et le reste du pays. Une représentation qui – au passage- confond volontiers les Parisiens (ils sont deux millions), et les habitants de l’Île-de-France (12 millions). Dans son dernier ouvrage, « Les Parisiens », une obsession française. Anatomie d'un déséquilibre » (Ed. Rue de l'échiquier) , Olivier Razemon décrypte l'histoire de cet antagonisme. En particulier, il montre ce qu'il doit à une vision politique obnubilée par l'idée d'un Paris tout puissant. Une vision qui coûte cher au pays, Franciliens compris...
En Île-de-France, « la concentration de la population et de l'activité économique correspond à une volonté résolue de l’État », explique-t-il. Ainsi, rappelle l'ouvrage, « il n'y aura pas de France forte et ambitieuse si l’île de France se recroqueville sur elle même », déclarait Nicolas Sarkozy, en 2007. A l’époque président de la République, il avait mis sur pied un secrétariat d'Etat consacré au « développement de la Région capitale », et organisé des concours architecturaux d'un « Grand Paris », imaginé comme une métropole « polycentrique » ou « multipolaire », voire, allant jusqu'à la mer... Le tout s'est concrétisé dans un projet d'un super métro automatique. Onze des 68 gares prévues ont été édifiées à ce jour. Ce super métro est destiné à desservir des « pôles d'activités » supposés lutter contre les concurrents internationaux dans les domaines de la défense, la santé, la finance...
Plus récemment, la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024 a été pensée pour servir l'ambition d'un grand Paris. Et c'est aussi le cas du « Charles de Gaulle Express », liaison entre la gare de l'Est et l'aéroport de Roissy. Au total, « la puissance de la région capitale doit rejaillir sur le pays entier. C'est la version géographique du ‘ruissellement économique’, selon laquelle la prospérité des plus riches bénéficie, à terme, aux plus pauvres », analyse Olivier Razemon. Depuis, les « gilets jaunes » et la pandémie sont passés par là, remettant lourdement en cause le déséquilibre décisionnaire de Paris. Et de fait, le discours politique a évolué. Ainsi, relève l'ouvrage, Jean Castex, Premier ministre, a évoqué une trentaine de fois les territoires dans son discours de politique générale. « Officiellement, depuis le soulèvement des ‘gilets jaunes’( ...) le plus haut sommet de l'Etat ne jure que par les territoires. Dans les faits, sa politique demeure magistralement centralisée. Sur l'échiquier politique, rares sont les voix qui osent remettre en cause les projets démesurés associés au Grand Paris, synonymes d'attractivité et de croissance », estime Olivier Razemon. Pour lui, il n'existe pas de réelle alternative à ces grands projets, à cette « politique inoxydable, résistant à tous les changements de gouvernement ».
Le télétravail pourrait favoriser un rééquilibrage territorial
Et pourtant, cette vision provoque de nombreuses conséquences négatives, montre l'ouvrage. En particulier, elle ne fait qu'aggraver les maux dont souffrent l’Île-de-France et ses habitants, alors que des choix différents pourraient permettre un développement plus harmonieux des territoires. Et les Franciliens sont les premiers à pâtir de la situation. Ils paient chèrement l'hyper-densité de leur territoire, cumulant problèmes de logement et de transports. De plus, « l’Île-de-France est atteinte de la même maladie que le reste du pays : l'étalement urbain effréné », constate l’auteur. Un étalement qui se traduit notamment par des temps de transport encore rallongés…
Quant aux « grands projets », ils sont loin d'être des réussites. Témoin, celui du « pôle de Saclay », destiné à devenir une « Silicon valley » à la française. Y sont délocalisés centres de recherche, établissements universitaires... Mais l'emplacement reste extrêmement mal desservi par les transports publics. Autre exemple, celui du « Charles-de-Gaulle Express », ligne ferroviaire conçue pour le tourisme d'affaires. Ses travaux occasionnent des interruptions récurrentes du RER B, qui convoie chaque jour 900 000 passagers -dont beaucoup de Franciliens. Une décision de justice a stoppé le chantier, en novembre 2020. .
Autant de conséquences néfastes pour les riverains et l'environnement... Résultat, la région est devenue un repoussoir pour ses habitants : en février 2019, d'après un sondage, 59% des Franciliens quitteraient l’île-de-France pour une autre région, s'ils en avaient l'opportunité. Or, cette opportunité, elle existe ! Pour Olivier Razemon, il est possible de « rééquilibrer le pays, désengorger l’île de France, tout en stimulant la redynamisation des villes petites et moyennes qui ne demandent que cela ». Partout dans le pays, des villages et des bourgades inquiets pour la pérennité de leurs écoles ou commerces sont prêts à accueillir des nouveaux venus. Et les villes de 20 000 à 50 000 habitants disposent de nombreuses ressources : patrimoine historique, services publics, scène culturelle, accès facile à la nature... L'offre de nouvelles destinations et la demande de partir des Franciliens sont donc là. Toutefois, « ce rééquilibrage est impossible sans un engagement fort de l’État », pointe Olivier Razemon. Or, « rares sont les politiques publiques visant une rencontre entre ces deux objectifs », constate l'auteur. Fruit de la pandémie, la révolution du télétravail pourrait permettre pourtant l'émergence de nouveaux modes de vie, une nouvelle organisation du territoire. Une occasion perdue ?