«On s'inquiète pour les petites entreprises, nombreuses à réaliser jusqu'à 70% de leur chiffre à l'export»
L'industrie cosmétique a contribué à la solidarité nationale en produisant du gel hydroalcoolique durant la pandémie. Ce qui n'a pas empêché la filière, très tournée vers l'export, de souffrir économiquement. La Cosmetic Valley organise aujourd'hui des états généraux pour affronter l'avenir.
La Gazette : Comment des usines de parfum se sont-elles organisées pour fournir du gel hydroalcoolique ?
Christophe Masson : Traditionnellement, l’industrie cosmétique ne produit pas de gel hydroalcoolique : la réglementation ne le permet pas. Mais, dès la mi-mars, nous avons senti qu’il y aurait des besoins. Avec la FEBEA (Fédération des entreprises de la beauté) et les autorités, un travail important a été réalisé pour faire évoluer la réglementation. Ensuite, des entreprises ont adapté leur outil de production. Nous avons aussi mis en place une hotline pour mettre en relation les fabricants et les hôpitaux. Mais, avec le ralentissement de l’économie, nous commencions à avoir des difficultés pour trouver ingrédients et packagings. Nous avons converti la plateforme «Impact +», développée avec l’ADEME (Agence de la transition écologique) dans une démarche d’économie circulaire, en outil de solidarité : l’industriel qui disposait de 1 000 packagings pouvait les mettre à disposition ; 300 entreprises ont utilisé cet outil. Il y a eu une vraie dynamique de filière. Aujourd’hui, un tiers du gel est fourni par l’industrie cosmétique. L’autorisation de produire a été prolongée jusqu’en décembre.
Au-delà de cet élan de solidarité, comment la filière a-t-elle vécu la crise ?
Cela a été une crise majeure. Nos difficultés ne sont pas liées à un problème d’approvisionnement, puisque l’ensemble des maillons de l’industrie est présent en France, mais à la consommation et à l’export. La cosmétique, souvent vue comme futile, représente la troisième filière à l’export. Nous avons donc commencé à sentir la crise dès le début du confinement en Chine. Puis, cela s’est accentué. Les usines se sont arrêtées deux ou trois semaines, sauf pour la production de gel hydroalcoolique. On s’inquiète pour les petites entreprises, nombreuses à réaliser jusqu’à 70% de leur chiffre à l’export. Leur modèle économique est mis à mal, ce qui s’ajoute aux problèmes de trésorerie. Mais c’est surtout en fonction de leur positionnement que les entreprises ont plus ou moins souffert de la crise.
Celles liées à la grande distribution ont été moins touchées que celles qui distribuent dans les parfumeries, fermées. Aujourd’hui, c’est reparti : la consommation a repris en Chine et en Europe, mais timidement. Et les drames que vivent les USA ou l’Amérique latine ne sont pas sans conséquences pour cette industrie très liée à l’export.
Quel est le but des états généraux qu’organise la Cosmetic Valley ?
L’objectif est d’engager une stratégie de filière. Depuis le 15 juillet, cette consultation se déroule sur le site https://eg2020.cosmetic-valley.com, et le 15 octobre, nous allons en présenter les conclusions. Elle porte sur cinq sujets prioritaires : le consommateur, l’export, le financement des entreprises, les compétences et l’économie circulaire. Cela fait une dizaine d’années que nous travaillons sur ces sujets, qui n’étaient encore que des signaux faibles : aujourd’hui, nous traversons une crise sans précédent qui suscite beaucoup d’inquiétudes, mais nous ne partons pas de zéro. Cette démarche va aussi nous permettre de remonter à l’État, la position de la filière, ses priorités, dans le cadre de la constitution du plan de relance. Mais l’élément déclencheur qui nous a décidé à organiser ces états généraux, ce sont les échanges avec les entrepreneurs que nous avons accompagnés durant la crise, et qui nous ont exprimé leur besoin de visibilité. On sent une forte envie de dynamique collective.
La cosmétique française en chiffres
• 3 200 entreprises, dont 80% de PME
• 246 000 emplois directs et indirects
• Chiffre d’affaires : 45 milliards d’euros (Cabinet Asteres 2019)