"On est punis": dans le Grand Nouméa, les bus roulent de nouveau... à prix d'or

Elle devrait être soulagée, mais c'est tout l'inverse. Aline Kothy a renoué à l'aube avec les trajets en bus, qui ont repris mardi dans l'agglomération de Nouméa après quatre mois de crise et avec des...

Des personnes se dirigent vers le nouveau terminal de bus de Païta, en lisière de la ville, le 1er octobre 2024 en Nouvelle-Calédonie © SEBASTIEN BOZON
Des personnes se dirigent vers le nouveau terminal de bus de Païta, en lisière de la ville, le 1er octobre 2024 en Nouvelle-Calédonie © SEBASTIEN BOZON

Elle devrait être soulagée, mais c'est tout l'inverse. Aline Kothy a renoué à l'aube avec les trajets en bus, qui ont repris mardi dans l'agglomération de Nouméa après quatre mois de crise et avec des tarifs quasi doublés, vus comme une "punition" collective.

"C'est trop cher! Ca m'a fait mal quand j'ai acheté mon ticket. Pour le retour, je vais marcher et j'ai dit à mon fils lycéen de rentrer à pied aussi", s'insurge cette femme de ménage de 39 ans, arrivée à 6H30 au principal terminal du centre de la capitale calédonienne. 

Les bus du Grand Nouméa, à l'arrêt depuis le 14 mai, au lendemain du début des émeutes qui ont éclaté dans le cadre d'une mobilisation indépendantiste, roulent de nouveau. Mais le ticket a flambé: de 2,40 à 4,20 euros l'unité - sans possibilité de forfait ni de tarif réduit -, pour un redémarrage partiel de trois mois, avec seulement onze lignes sur trente et des trajets raccourcis.

"Moins bien et plus cher", observe Aline Kothy, résumant l'avis général sur le réseau de transports largement délaissé par les Calédoniens, pourtant 20.000 à l'emprunter quotidiennement avant les violences.

Dans le bus N°7, Serah Ounemoa a sorti la calculatrice de son téléphone: à trois dans son foyer, pour un aller-retour quotidien cinq jours par semaine, cela revient à plus de 500 euros par mois. "La galère n'est pas finie", souffle l'entraîneuse de football de 25 ans, dans un bus habituellement "plein à craquer" où seuls quatre sièges sont pris.

- "Repartir de zéro"

"On n'a pas le choix. Il en va de la survie du transport en commun après quatre mois sans recettes" et alors que les subventions des collectivités sont en chute libre, défend Marie Morel, une responsable du SMTU (Syndicat mixte des transports urbains), gestionnaire du réseau. 

"Bien sûr que ça pose des problèmes, mais on ne peut pas faire fi de ce qui s'est passé. Maintenir le réseau en l'état, ce n'est pas viable. On doit repartir de zéro", justifie encore le SMTU, qui n'a "pas de visibilité" au-delà des trois mois de reprise prévus.

De son côté, la branche transports du Syndicat des ouvriers et employés de la Nouvelle-Calédonie (SOENC) s'insurge contre "l'augmentation vertigineuse des tarifs", qui va frapper "de plein fouet les travailleurs et les familles à revenus modestes".

Une "décision purement financière" qui "creuse davantage les inégalités sociales et précarise les plus vulnérables", tacle encore le syndicat, qui appelle à une révision du tarif.

D'autant que tous les quartiers "identifiés comme sensibles par les forces de l'ordre" ne sont pas desservis, explique le gestionnaire du réseau. 

"Les gens vont devoir faire appel à des mobilités complémentaires", affirme Marie Morel.

Trop galère

En clair, marcher ou prendre un taxi pour finir un trajet déjà beaucoup plus onéreux, dans une agglomération où fleurissent depuis les émeutes les "taxi 500" et les "taxi 1000", des VTC clandestins qui tirent leur nom du prix qu'ils facturent pour la course: 500 francs pacifiques (4,20 euros) ou 1.000 (8,40 euros).

Au terminus provisoire du bus (prononcer "beusse" en Nouvelle-Calédonie) qui mène à Païta, une banlieue nord classée sensible, Eric Qenegei va devoir finir son trajet à pied: une heure de marche à la descente du transport, qui s'arrête au panneau signalant l'entrée dans la commune.

"C'est la première et la dernière fois que je prends ce bus", colère le menuisier de 35 ans, qui aura dû faire quatre heures de trajet pour une livraison à Nouméa. 

"C'est trop galère. Ceux qui ont besoin du bus, c'est des travailleurs comme moi mais on dirait qu'on est punis", juge-t-il, avant d'entamer sous le soleil matinal sa marche sur la bande d'arrêt d'urgence de la voie express n°2, longée par des fraisiers, des palmiers et une dense végétation derrière laquelle s'élèvent des massifs forestiers.

Trois kilomètres plus loin, le terminus très calme de Païta-centre, qui n'est désormais plus desservi. 

Gil Creugnet, 61 ans, y a pris dans son taxi ceux qui n'étaient pas au courant du changement, pour les déposer au bus de 7H du matin, en lisière de la ville.

Pour lui, aucun doute, "c'est une sanction": "En gros, vous avez foutu la merde, maintenant vous allez payer."

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