Entretien avec Maria Carmela Mini et Paul Rondin, coprésidents de France Festivals
«Nous faisons face à une difficulté : un désamour du spectacle vivant»
Les Français sont plus nombreux à retrouver le chemin des festivals que celui des cinémas. Mais le secteur doit affronter hausse des coûts et lassitude des professionnels.
Que représentent les festivals en France ?
La France compte plusieurs milliers de festivals, ce qui en fait le premier phénomène culturel du pays. Ces événements jouent un rôle fondamental dans les territoires : on en trouve dans chaque région, dans les communes de toute taille. Et leur ancrage est très important. La dynamique vient des territoires ; elle embarque les écosystèmes sociaux et économiques locaux. Par ailleurs, les festivals travaillent avec des types de publics très divers. En particulier, ils touchent des citoyens que n'atteignent pas les structures pérennes.
Autre particularité, les festivals sont d'une grande diversité : cela peut aller du petit festival de musique baroque dans une église de montagne à celui, très connu, d'Avignon pour le théâtre...Leurs modalités peuvent également varier. Le plus souvent, la vie des festivals est concentrée sur une durée limitée, mais certains événements se tiennent sur deux mois, à l'image des nuits de Fourvière, à Lyon. Dans la métropole de Lille, le festival Latitudes contemporaines dure trois semaines et se tient dans une vingtaines de structures différentes.
La fréquentation des festivals est-elle impactée par les crises actuelles ?
Un festival, c'est avant tout un moment festif. On vient en couple, entre amis, en groupe, pour se retrouver au cœur d'un événement, pour faire société. Actuellement, nous allons de crise en crise. Il nous semble tout à fait probable qu'une fois les échéances politiques passées, les Français aient envie de renouer avec le partage des émotions... Pour l'instant, nous sommes au tout début de la saison et les données sont donc encore loin d'être complètes. Mais les premières indications ne sont pas très inquiétantes. Nous nous attendons à un taux de fréquentation d'environ 15% inférieur à d'habitude, en moyenne.
Par rapport aux salles de spectacle et de cinéma, qui ont subi une chute forte de la fréquentation, jusqu'à 35%, le début de saison est plutôt bon. Le premier festival de la saison à s'être tenu, le Printemps de Bourges, a atteint un taux de remplissage de 20% inférieur à d'habitude. Mais les Nuits de Fourvière, avec leurs 2 000 places, sont combles. Et lors d'une prévente de 11 000 places pour le festival d'Avignon, tout est parti en quatre heures...
A quelles difficultés sont confrontés les professionnels ?
Tous les coûts augmentent. Les opérateurs privés doivent eux aussi absorber les hausses, bien sûr, mais dans l'hôtellerie, on constate un effet d'aubaine. Or, il existait déjà un problème structurel : en Avignon, le panier du festivalier est constitué de 20% des billets et 80% d'hôtels, restaurants... Les coûts vont devenir inabordables pour les visiteurs ! Cette économie qui se déploie à partir des festivals, se tire une balle dans le pied.
Par ailleurs, nous faisons face à une autre difficulté, un désamour du spectacle vivant. Durant la crise, nombre des personnes qui consacrent leur vie à la culture ont souffert de la voir qualifiée de non essentielle. En outre, le «stop and go» a engendré des complexités de gestion très éprouvantes. Aujourd'hui, les festivals se montent, mais avec des difficultés. Le festival de Bourges, par exemple, a eu du mal à trouver du personnel. Et un autre phénomène encore nous inquiète. Depuis peu, certains festivals ont perdu une source de revenus : ils ont vu disparaître ou diminuer l'apport de leurs mécènes privés. Cela risque de les obliger à augmenter le prix des billets, qui deviendront alors inaccessibles à certains publics.