MyFerryLink bousculera-t-elle le jeu sur le Transmanche ?
Le feuilleton des ex-SeaFrance s’est en partie achevé le 20 août dernier quand certains d’entre eux ont repris du servic
Ce n’était pas le début le mieux préparé mais il fallait bien investir rapidement le Détroit. La nouvelle compagnie maritime transmanche MyFerryLink a pris la mer le 20 août dernier avec deux navires (M/V Rodin et M/V Berlioz) loués à Eurotransmanche, filiale d’Eurotunnel. “Le principal était de reprendre la mer. Le nombre de clients pour la première traversée n’était pas un objectif”, a déclaré Jean-Michel Giguet, président du directoire. Les derniers soubresauts sur l’acquisition des navires et la préparation de leur lancement sont en cause : la procédure de liquidation judiciaire des actifs de SeaFrance a suivi un calendrier long et complexe. Il aura fallu en effet près de six mois entre le prononcé de la liquidation le 9 janvier dernier par le tribunal de commerce de Paris et la vente effective de trois des quatre navires à Eurotunnel, pendant que la concurrence s’installait sur le Calais-Douvres avec Britanny Ferries et DFDS. Pendant que les regards étaient tournés vers les Jeux olympiques de Londres, les Rodin, Berlioz et Nord-Pas-de-Calais étaient en maintenance accélérée à Dunkerque. Ont-ils raté une période de hausse du trafic maritime en arrivant fin août ? Le bilan des retombées des JO et les chiffres de la rentrée le diront. La préparation s’est faite à l’avenant : il y a 15 jours commençaient les inspections, contrôles et les vérifications techniques avant l’octroi des autorisations à appareiller. Le site devait être testé et il n’a été opérationnel que le lendemain des premières traversées, gênant la réservation en ligne, principale pourvoyeuse de passagers. “Le site a eu un peu de retard”, reconnaît Philippe Gallouedec du service communication. Côté ressources humaines, la plupart des personnels étaient presque sur le pont fin juillet avec 322 embauchés. Une soixantaine de recrutements ont eu lieu les 15 derniers jours.
Une nouvelle organisation du travail. Aujourd’hui, la compagnie compte 395 salariés dont 45 officiers, 208 navigants, 95 sédentaires en France et 47 en Grande-Bretagne. C’est à peine la moitié du nombre de licenciés qui figuraient dans le dernier plan social de l’ex-direction de SeaFrance. Le plein d’emploi n’est pas encore fait : avec l’arrivée du fréteur Nord-Pasde- Calais à l’automne, une centaine de personnes supplémentaires embarqueront dans l’aventure. Ce qui change, ce sont les conditions de travail. Les marins effectueront sept jours à terre et sept jours à bord. “La modification des rythmes d’embarquement, dans le respect du temps de travail annuel imposé par la loi et les règles du pavillon français, va permettre au personnel actionnaire d’offrir à la clientèle un accueil et un service irréprochables sur les quatre allers-retours quotidiens effectués par chacun de nos navires”, indique la direction. Chez SeaFrance, le rythme était plus relâché : trois postes de 48 heures à bord pour un poste de 48 heures à terre, suivis d’une semaine de repos. La maîtrise de la masse salariale est un des enjeux de l’avenir de la compagnie qui a mis en place une nouvelle organisation : le but est de gagner en productivité. Ce qui change aussi, c’est la participation des salariés dont 70% sont aujourd’hui sociétaires de leur entreprise. La motivation ne devrait probablement pas être la même qu’à l’époque de SeaFrance dont la maison mère (la SNCF) soutenait parfois l’activité déficitaire… Désormais, l’entreprise ne devra compter que sur ellemême en dépit des annonces des pouvoirs publics depuis le début de l’année. Les élections sont passées.
Revue des aides financières… Quid de la promesse des collectivités territoriales de la région (mairie de Calais, communauté d’agglomération du Calaisis, conseils général et régional) d’abonder au capital de la SCOP ?
La ville de Calais rappelle qu’elle a provisionné 1 million d’euros et Natacha Bouchart, son maire, déclare qu’elle a négocié avec l’ancien ministre des Transports une prime supra-légale de 25 000 euros. Pour le million promis, Natacha Bouchart attend la position du Conseil régional pour emprunter le même dispositif. “On n’investira pas dans la SCOP directement. Il y a toujours d’anciens dirigeants de la CFDT”, explique-t-elle. A l’Agglomération, rien n’a encore été présenté en bureau communautaire mais son président, Philippe Blet, indique que “le principe d’un soutien est acquis. Nous verrons comment intégrer le dispositif de la région”. Le conseil général attend aussi la fin de l’été pour voir comment se positionner. Chef de file de l’action publique dans ce dossier, la Région devrait intervenir directement via Groupe EuroTunnel (GET) avec qui elle constituera très probablement un holding à triple filiale (un par navire). Le montage juridique est en cours de finalisation dans les services financier et juridique. “La Région intervient parce qu’il y a maintien du plus grand nombre d’emplois, que le pavillon est français et que le dossier d’Eurotunnel et de la SCOP est sérieux”, décrypte François Delagrande, directeur de cabinet du président Daniel Percheron. Au-delà, quel pourrait être l’impact sur l’exploitation de MyFerryLink ? Incontestablement, Eurotunnel a un avantage sur les autres opérateurs : son rôle d’aménageur et de logisticien, sa stratégie d’attraction des trafics fret de Dunkerque vers Coquelles et son ambition de répondre à l’appel d’offres relatif à la gestion des ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer le positionnent de manière centrale auprès des acteurs politiques.
Quelle concurrence ? Il y a 11 bateaux à ce jour sur le Calais-Douvres : 7 chez P&0 (qui n’en utilise que 5 en ce moment), 2 chez DFDS (qui doit en remplacer un avant le printemps prochain), et 2 nouveaux chez MyFerryLink (qui doit en accueillir un troisième avant la fin de l’année). Comment se déroulera la répartition de la charge des flux en passagers et en fret ? L’indice des prix peut donner quelques indications.
Chez P&O, les tarifs avoisinent la centaine de livres sterling pour un véhicule avec ses passagers (soir 130 euros). Chez MyFerryLink, le tarif est très concurrentiel avec des offres qui débutent à 42 euros. Enfin, le consortium LD Lines/DFDS propose un allerretour à 84 livres sterling. Dans les prochains mois, l’importance des flux réglera la question du prix. Si l’activité vient à manquer ou même si elle stagne, les prix seront à la baisse. Au contraire, si les flux augmentent… Mais dans un contexte de crise, la prudence reste de mise. MyFerryLink vise un objectif de 12 à 14% du marché contre 20% avec SeaFrance l’an dernier. Modeste, le transporteur maritime sait que la concurrence est rude avec DFDS et P&O. Mais aussi avec Eurotunnel : l’opérateur ferroviaire transmanche détient aujourd’hui 40% des parts de marché et a-t-il intérêt à voir un nouveau concurrent sur mer… A moins que MyFerryLink ne grignote les parts de ses concurrents. Pour autant, les opérateurs maritimes P&O et LD Lines/ DFDS ne manqueront pas de dénoncer un manquement aux règles françaises et européennes de la concurrence même si l’opérateur ferroviaire n’est pas directement exploitant. Quel sera l’impact de ce risque judiciaire ? Faudra-t-il, pour montrer sa bonne foi, proposer à LD Lines/DFDS ou à P&O (qui n’en a pas besoin) la location de son fréteur ?