Mutuelle complémentaire : une mise en place compliquée
Près de 40% des entreprises picardes ont mis en place la mutuelle complémentaire obligatoire après le 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur de la loi relative à la sécurisation de l’emploi.
Je propose de généraliser l’accès à une couverture complémentaire de qualité. » L’annonce est signée François Hollande, président de la République, lors du Congrès de la Mutualité française le 20 octobre 2012. Trois ans et demi plus tard, le premier article de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, adoptée le 14 juin 2013, a institué la généralisation de la complémentaire santé dans les entreprises au 1er janvier 2016. Ces dernières se doivent désormais de prendre en charge, au minimum 50% de ces dépenses mensuelles. Cinq mois après l’entrée en vigueur de ce point issu de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, certains constats peuvent déjà être tirés.
Une mise en place tardive 40% des PME picardes se sont mises en conformité après le 1er janvier, selon l’étude publiée par M comme Mutuelle en mars 2016. Pourtant, depuis juin 2013, le secteur privé a été informé de cette nouveauté pour janvier 2016. « Il y des entreprises qui ont attendu de voir si elles allaient avoir des conventions collectives. La seconde explication est simple. Certaines attendaient pour pouvoir supporter le coup au dernier moment », explique Mickaël Noullez, expert-comptable au cabinet Deruelle à Amiens. La troisième explication est le temps de négociation des contrats. « Nous avons commencé à y réfléchir l’été dernier, le temps de trouver une offre qui convienne », rapporte Serge Dachon, dirigeant de Burotic services à Breuil-le-Vert (Oise). Évaluer les offres, les proposer à ses salariés, attendre leurs retours… « Si vous voulez bien faire les choses, cela prend du temps. Six mois ne sont pas négligeables », confirme Mickaël Noullez. Une charge supplémentaire « C’est une contrainte et une charge supplémentaire pour les entreprises qui n’en disposaient pas », s’agace Sébastien Horemans, le président de la CGPME Picardie et Somme. Le processus est d’autant plus long et coûteux dès lors qu’une entreprise doit réaliser les démarches seules. En effet, les sociétés bénéficiant d’un accord de branche n’ont pas besoin de recourir à un conseil pour établir un dossier. Dans le cas contraire, l’employeur doit le mettre en place de lui même. Il existe trois possibilités. Il peut négocier, faire un référendum ou décider de
manière unilatérale. Cela représente des coûts supplémentaires. « Il y a un impact important. Il faut sécuriser les entreprises car sur une certaine taille cela peut être dramatique. Au cabinet Deruelle, pour une vingtaine de salariés, cela représente près de 15 000 euros par an », constate Mickaël Noullez. Le coût annuel n’est pas négligeable, mais varie en fonction de l’offre sélectionnée par l’employeur ainsi que le taux de prise en charge. Sur une entreprise de taille équivalente comme Burotic services, « cela représente un coût de 5 à 6 000 euros sur l’année. Il faut préciser que tout le monde ne l’a pas prise », relate Serge Dachon. Une dépense supplémentaire qui se poursuit même si l’entreprise est placée en redressement ou en liquidation judiciaire. Dès lors, il est plus aisé de comprendre que près de 51% des PME picardes, selon l’étude de M comme Mutuelle, voient une charge financière et administrative supplémentaire pour leurs structures.
Un effet inverse « J’avais déjà essayé de mettre en place une complémentaire santé, il y a quelques années. Nous offrions quelque chose de plus intéressant pour nos salariés, mais ils ne s’étaient pas montrés intéressés par un tel dispositif », se souvient Serge Dachon. Mickaël Noullez rapporte la même anecdote pour le cabinet Deruelle. Alors que certaines entreprises avaient déjà essayé d’instituer une complémentaire santé avec une prise en charge partielle, aujourd’hui près d’une PME picarde sur deux a opté pour le panier de soins minimal. Près de neuf sociétés sur dix ne prennent en charge que les 50% imposés par la législation. « La santé devient plus chère pour les salariés. Cela partait d’une bonne idée en voulant faciliter l’accès aux soins, mais aujourd’hui on se retrouve avec une santé à deux vitesses », constate Matthieu Stankowiak, directeur du développement chez M comme Mutuelle. Les entreprises ont massivement pris comme premier critère le prix au détriment du niveau de garanties. Les salariés se retrouvent dans une position inconfortable. Aujourd’hui, pour certains, cela engendre des frais supplémentaires. Les salariés souhaitant avoir de meilleures prestations doivent se tourner vers une sur-complémentaire santé. Alors qu’auparavant, certains salariés bénéficiaient des avantages santé d’un tiers, ils se retrouvent aujourd’hui avec une mutuelle imposée qui parfois ne leur correspond pas. 56% des PME picardes, selon M comme Mutuelle, assurent seulement le salarié sans les ayants droit.
Un acte militant « C’est un outil qui permet de prendre soin des collaborateurs. Cependant, les retours que je peux en avoir, c’est qu’à partir du moment où elle est obligatoire, certains collaborateurs ou collaboratrices disent : “Je suis déjà sous celle de mon mari”, cela devient problématique », partage Christophe Thuillier, dirigeant d’Agesys à Noyon (Oise). Fin février, 12% des entreprises picardes n’avaient toujours pas mis en place le dispositif. « Parfois c’est un geste militant. Certaines TPE, le revendiquent pour des raisons financières, mais également sur le fait que leurs employés ne souhaitent pas la souscrire », détaille Matthieu Stankowiak. Face à cette situation, la Direccte reste démunie. « Il n’y a pas eu de ligne directrice au niveau ministériel. Nous essayons de nous débrouiller au mieux. Ce n’est pas un sujet très simple. Aujourd’hui, il n’y a pas de remontées du terrain hormis des entreprises qui appellent pour avoir des renseignements », explique le service juridique de la Direccte. L’inspection du travail confie même que cela ne fait pas partie de ses actions prioritaires. À l’inverse, certains entrepreneurs voient dans cette nouvelle loi un outil de management. Ils sont 2% des dirigeants de PME en Picardie à partager cette idée. « Nous avons mis en avant l’exemple de notre cabinet auprès de nos clients. Cela permet de donner un avantage social indirect. Nous fidélisons nos salariés. Cela paye, nous avons peu de turn-over et des salariés impliqués », atteste Mickaël Noullez. Cependant, cette pensée reste minoritaire en Picardie. Au final, l’accès à une complémentaire santé a bien été généralisé. Pour ce qui est de la qualité, cela est moins sûr.
Alexandre BARLOT