Meurtre de Marie Trintignant: en 20 ans, le regard sur les féminicides a changé

Décrit il y a 20 ans comme un "crime passionnel", le meurtre de l'actrice Marie Trintignant par son compagnon est à présent considéré comme un féminicide. Le signe d'une évolution sociétale sur la façon d'appréhender les violences faites aux...

L'actrice Marie Trintignant sur la scène du Théâtre Hébertot, le 10 janvier 2001 à Paris © FRANCOIS GUILLOT
L'actrice Marie Trintignant sur la scène du Théâtre Hébertot, le 10 janvier 2001 à Paris © FRANCOIS GUILLOT

Décrit il y a 20 ans comme un "crime passionnel", le meurtre de l'actrice Marie Trintignant par son compagnon est à présent considéré comme un féminicide. Le signe d'une évolution sociétale sur la façon d'appréhender les violences faites aux femmes, bien qu'il reste du chemin à parcourir.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, Bertrand Cantat, le chanteur de Noir Désir, porte une série de coups à sa compagne Marie Trintignant, au cours d'une dispute en marge d'un tournage en Lituanie. L'actrice de 41 ans décède le 1er août à Paris, d'un œdème cérébral.

Les médias s'emparent immédiatement de l'affaire: l'AFP décrit une "histoire d'amour qui tourne au drame", Le Parisien insiste sur "la jalousie à l'origine du drame", tandis que Paris Match affiche en Une le portrait de l'actrice, "victime de la passion".

La presse tend à décrire les meurtres conjugaux comme "une forme d'excès d'amour" depuis le début du XXe siècle, une explication "liée à une certaine conception de l'amour", déclare à l'AFP Giuseppina Sapio, maîtresse de conférence à l'université Paris 8. 

C'est le cas en France, mais également à l'étranger: "Les violences masculines existent à toutes les époques, dans tous les pays. Et les moyens de les euphémiser également", précise cette spécialiste du traitement médiatique des violences conjugales.

La couverture de ces faits de société a toutefois évolué, dit-elle: la majorité des médias parlent aujourd'hui de "féminicide" et non plus de "crime passionnel", un terme désormais considéré comme inapproprié.

Tolérance zéro

Lors du meurtre de Marie Trintignant, la presse avait aussi largement relayé le discours de Bertrand Cantat, icône pop-rock française des années 1990.

"On parlait peu d'elle, on minimisait les faits pour développer l'empathie envers lui. Et c'est encore le cas aujourd'hui dans certains articles" concernant des affaires de violences conjugales, regrette Fabienne El Khoury, membre d'Osez le Féminisme. 

Lors du procès en diffamation l'an dernier opposant Johnny Depp à son ex-femme, l'actrice Amber Heard, la star américaine avait reçu un fort soutien du public alors qu'elle avait été dénigrée. "Le seuil de tolérance envers les violences faites aux femmes a certes baissé mais il faut arriver à une tolérance zéro", ajoute Fabienne El Khoury. 

Les associations féministes dénoncent ces violences depuis longtemps. Mais c'est le mouvement #Metoo en 2017 qui a permis une "prise de conscience collective" et un véritable "basculement", déclare à l'AFP l'historienne Christelle Taraud. 

Le terme "féminicide" s'est progressivement imposé dans le débat public depuis. Ces meurtres de femmes correspondent à "la partie émergée de l'iceberg des violences conjugales", souligne Christelle Taraud, qui a publié l'an dernier un ouvrage collectif qui fait référence, "Féminicides, une histoire mondiale". 

Décompte

Des associations ont contribué à médiatiser ce sujet. Dont, en France, le collectif "Féminicides par compagnons ou ex", qui réalise au quotidien depuis 2016 un décompte des femmes tuées par leur conjoint. 

Environ 120 femmes sont victimes de féminicides conjugaux chaque année en France, selon les données du ministère de l'Intérieur. 

"Le nombre fait peur, il signifie qu'il y a forcément quelqu'un qui nous ressemble parmi les victimes", relève Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans les violences conjugales depuis 30 ans. "On réalise maintenant que ces violences touchent tout type de femmes, alors qu'on pensait auparavant qu'elles concernaient les personnes socialement plus fragiles". 

La tendance à faire porter la responsabilité des violences à la victime s'est également estompée. "L'emprise et les autres freins qui empêchent une femme de quitter un conjoint violent sont des mécanismes connus à présent", souligne Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale Solidarité femmes, qui gère la ligne d'écoute 3919.

Elle déplore toutefois encore "trop de disparités" dans les parcours des femmes victimes: "Certaines sont bien reçues dans les commissariats, tandis que d'autres voient leur plainte refusée" par exemple.

Pour améliorer leur prise en charge, elle plaide pour renforcer la formation des policiers et des magistrats spécialisés. 

Le gouvernement a récemment prévu la création d'un "pôle spécialisé dans les violences intrafamiliales" dans les tribunaux français.

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