«Même s’il n’y avait pas de changement climatique, il faudrait agir"
Premier pilote de l’avion sans carburant autonome, Bertrand Piccard se met aujourd’hui au service de la transition écologique. Pour l’occasion, il a fait escale au World Forum le 15 octobre dernier. Le Suisse est venu soutenir les nouvelles solutions présentées, qui redonnent, selon lui, du sens à la vie économique.
La Gazette : Quel regard portez-vous sur le World Forum ?
Bertrand Piccard : C’est une initiative importante que de réunir des acteurs de l’économie responsable, du développement durable, des gens qui prennent des engagements… Des paroles, on en entend partout. Ici, il s’agit d’engagements. Et je trouve très intéressant le thème choisi «J’ai le pouvoir de changer le monde». Mais il ne suffit pas d’avoir une bonne idée, une bonne volonté, il faut aussi parler le langage de ceux que l’on doit convaincre. Il faut trouver des arguments porteurs qui, même s’il n’y avait pas de changement climatique, convaincraient les plus sceptiques. C’est notamment important de présenter l’efficience énergétique comme une manière pour les entreprises de faire plus de bénéfice.
Vous appelez aussi à un durcissement des législations.
Oui, elles sont trop laxistes, nos lois autorisent à polluer. Aujourd’hui, nous mettons autant de CO2 dans l’atmosphère, de plastique dans l’océan que nous le voulons. Il faut être plus sévère dans les standards environnementaux, en s’appuyant sur des solutions technologiques qui permettent d’atteindre ces normes plus exigeantes.
Près de 250 solutions ont justement été recensées par votre Fondation Solar Impulse. Qu’allez-vous en faire ?
L’Alliance mondiale pour les solutions efficientes que nous avons créée a pour objectif, d’ici deux ans, de sélectionner 1 000 solutions proposant des technologies propres et financièrement rentables pour protéger l’environnement. Nous les présenterons ensuite aux chefs d’Etat, comme un portefeuille d’outils pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs environnementaux. Parmi celles déjà retenues, citons l’entreprise nordiste Terraotherm qui recycle la vapeur d’eau et les fumées industrielles pour créer de nouveaux réseaux de chaleur.
Que pensez-vous de la troisième révolution industrielle, portée par les Hauts-de-France ?
Dès que l’on vise l’efficience énergétique et de ressources, on est en parfaite cohérence avec l’environnement, l’économie et la protection des citoyens. Mais restons toujours très prudents. Faire de la méthanisation en utilisant de la nourriture qui pourrait nourrir des hommes ou des animaux, c’est idiot. Cultiver du maïs pour alimenter les méthaniseurs, c’est aberrant. Seuls les déchets doivent être utilisés. Du côté des éoliennes, il y a eu des excès en les mettant trop près des villages et en braquant les habitants. C’est un excellent système dans les régions ventées, loin de la population, comme par exemple en mer ou dans des régions désertiques. Il faut du bon sens. Et notre humanité a perdu le bon sens. Aujourd’hui, on marche sur la tête.
Vous avez été l’un des représentants de la société civile choisi par le gouvernement français pour participer au G7, fin août 2019. Qu’avez-vous tiré de cette participation ?
Le fait qu’il faut faire passer aux chefs d’Etat le message suivant : même s’il n’y avait pas de changement climatique, il faudrait agir. Cela a du sens sur le plan économique d’utiliser les nouvelles technologies propres. Elles sont sources de profit, économisent de l’énergie et protègent l’environnement. Le président Macron m’a également demandé de traiter la question des inégalités dans le monde. Ces situations sont moralement inacceptables et aberrantes d’un point de vue économique. Ça maintient une partie de la population en-dehors des réseaux de consommation, et ce, au détriment des entreprises qui ont moins de clients. Et cela peut être source de révolte. Arriver à parler des inégalités, pas seulement sur le plan moral mais aussi sur le plan économique, c’est plus interpellant. Et l’attribution du prix Nobel de l’économie 2019 à Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer, pour leurs travaux sur la réduction de la pauvreté dans le monde, va dans le même sens. Heureusement qu’il y a un certain nombre de personnes qui voient le monde de cette manière-là. Peut-être arriverons-nous à changer les choses.
Succès du World Clean Up Day
Une fois par an, la nature et les villes sont nettoyées par des volontaires, le même jour, partout dans le monde, des plages de Hawaï aux montagnes du Japon, en passant par la France. Ce World Clean Up Day est piloté par Let’s Do It !, une association basée en Estonie depuis plus de dix ans. Présente lors du World Forum, sa dirigeante, Heidi Solba, témoigne d’une mobilisation croissante des citoyens dans ce type d’engagement.
«Lors du World Clean Up Day du 21 septembre 2019, 180 pays et 20,1 millions de personnes étaient engagés. C’est en augmentation. Même des régions extrêmes comme l’Arctique, l’Alaska (USA) ou la Micronésie ont répondu présent. Certains arrivent à mobiliser 10% de leur population dans cette opération. La France a compté 265 000 participants. De vrais acteurs du changement ! J’ai d’ailleurs rencontré à Lille beaucoup de personnes ayant participé à cette journée. Je me suis déplacée au World Forum pour rappeler l’importance de ce mouvement. C’est lié à cette notion d’Ego Imperium, la thématique du World Forum. Nous croyons que le monde peut changer grâce à des efforts individuels et collectifs. Nous préparons déjà le prochain World Clean Up Day 2020, avec beaucoup de travail de marketing, de communication, le développement du réseau de partenaires, de programmes auprès de la jeunesse, de contacts auprès des villes, gouvernements, médias. Une réflexion est menée aussi sur la gestion des déchets.»