Marchés publics : les acheteurs publics face aux défis sociétaux
Le nouveau Code de la commande publique, qui entrera en vigueur le 1er avril 2019, devrait simplifier le travail des acheteurs publics. Mais il ne résoudra pas tous les problèmes de ces professionnels, tiraillés entre contraintes juridiques, financières et injonctions sociétales. Débat, dans le cadre du récent Salon des maires.
Alors que le 1er avril 2019, le nouveau Code de la commande publique entrera en vigueur, une conférence sur «L’actualité 2018 des marchés publics : beaucoup de bruit mais non pour rien !», était organisée dans le cadre du Salon des maires, à Paris. L’occasion de faire le point sur la manière dont les acheteurs mettent en application la jurisprudence la plus récente ainsi que sur l’évolution du cadre législatif.
Le nouveau code va rassembler plus d’une trentaine de textes : «il va concentrer l’ensemble des règles applicables aux commandes publiques», précise Nicolas Charrel, avocat au cabinet Charrel et associés. Concrètement, il sera composé d’une partie législative et d’une partie réglementaire. «Cela va simplifier la gymnastique intellectuelle à laquelle on se livre, lorsque l’on rédige un contrat», estime Chantal Saichi, directrice de la commande publique pour la Ville de Toulon. Concernant le contenu, le Code va inclure des dispositions auparavant présentes dans d’autres textes de loi. Et également les décisions de jurisprudence, du moins celles qui sont suffisamment stabilisées. «Elles sont facilement repérables car elles sont présentées en gras», précise Chantal Saichi.
On trouvera peut-être, par exemple, une jurisprudence du Conseil d’État du 12 septembre 2018, portant sur l’impartialité de l’acheteur public et la rupture de l’égalité de traitement. Le cas, commenté lors du débat, concernait le syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse. Il illustre la complexité du métier d’acheteur. «On jongle entre le principe de liberté d’accès à la commande publique et le principe d’égalité entre les candidats.(…) Ce qui prévaut dans la jurisprudence, c’est le principe d’égalité», commente Chantal Saichi. Pour le respecter, à la mairie de Toulon, elle a adopté le principe de la «dé-prime» du sortant : ses services prennent garde de rétablir une égalité de traitement entre les entreprises qui ont déjà travaillé avec la mairie et les nouveaux entrants, en fournissant à ces derniers de nombreuses informations sur les précédents contrats.
Les enjeux sociétaux s’imposent aux acheteurs publics
Par ailleurs, les évolutions législatives ne sont pas les seules à s’imposer aux acheteurs publics. En particulier, une préoccupation familière à tous les consommateurs les touche aussi : celle de la préférence pour «l’achat local». Toutefois, «la préférence locale ne peut être un motif de choix d’une offre (…)». Une autre décision du Conseil d’État du 12 septembre 2018 «clôt le débat», note Delphine Launay, responsable nationale des Rencontres marchés du Groupe Moniteur. Dans le cas qui a fait jurisprudence, en effet, le département de la Haute-Garonne avait inclus un critère lié au coût du déplacement, afin de choisir un prestataire de services pour sa médiathèque. Ce qui lui a valu d’être traîné en justice par l’entreprise La Preface, et condamné. «C’est l’illustration de ce qu’il ne faut pas faire. (…) si le critère est discriminant, il va être retoqué par le juge. Il faut que ce soit lié à l’objet du marché», rappelle Chantal Saichi, qui évoque un «localisme déguisé».
L’avis est partagé par Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière, au Conseil département de la Côte-d’Or. «Lorsqu’un critère de localisme se cache derrière des critères éco-responsables, comme le bilan carbone, cela se voit rapidement», met-il en garde. Pour ces acheteurs, le caractère local peut être employé comme une «variante». Ainsi, le Conseil département de la Côte-d’Or, qui a besoin de prestations rapides pour dépanner des déneigeuses qui tomberaient en panne en cours d’intervention, a exigé un délai d’intervention serré dans son cahier des charges. Au prestataire de voir s’il est basé à proximité ou s’il peut déléguer des équipes d’intervention sur place.
Mais le critère local n’est pas le seul à s’imposer toujours plus aux acheteurs. Ces derniers sont pris en tenaille entre des exigences sociétales, comme l’innovation, l’insertion sociale et le développement durable, d’une part, et les contraintes budgétaires et les règles juridiques de la commande publique, d’autre part. Les acheteurs sont soumis à des «injonctions contradictoires», souligne Arnaud Latrèche.
Savoir se servir du sourcing, en prenant des précautions
Pour tenter de concilier ces exigences, les acheteurs disposent d’un outil qui peut les aider : le sourcing, ou sourçage. Correctement utilisé, il donne des «résultats extraordinaires» en terme d’amélioration de la rédaction des cahiers des charges, estime Chantal Saichi. Par exemple, en allotissant des marchés d’une manière qui n’aurait pas été imaginée au départ. Défini par l’article 4 du décret du 25 mars 2016, le sourcing permet des échanges préalables à un appel d’offre avec des opérateurs économiques, pour prendre connaissance de l’état du marché. Certaines collectivités ont mis en place des démarches en ce sens : c’est le cas de Strasbourg, par exemple, qui organise un salon pour rencontrer des entreprises. Dans son département, Arnaud Latrèche a organisé des rencontres avec les taxis, via la chambre des métiers. Objectif : mieux connaître les contraintes de cette profession, avant d’acheter du transport scolaire des élèves en situation de handicap. A Toulon, Chantal Saichi s’appuie, notamment, sur des plateformes professionnelles dédiées aux marchés publics et au sourcing, sur lesquelles s’inscrivent les entreprises. «Cela permet de sourcer des entreprises, et pas seulement celles qu’on connaît», résume-t-elle.
Certaines collectivités renoncent à faire du sourcing, de peur de se voir accuser de favoritisme à l’égard de telle ou telle entreprise. De fait, certaines contraintes doivent être respectées : la transparence et la traçabilité des échanges, l’anticipation et la planification, la neutralité et l’objectivité, ainsi que l’absence de discrimination géographique ou commerciale. «Il faut encadrer juridiquement sa démarche. Faire du sourcing à la sauvage est dangereux, car on ne peut pas prouver qu’on n’a pas été orienté», met en garde Chantal Saichi.
Autre contrainte à respecter : un rapport de présentation qui doit être fourni au préfet. «Le fait d’avoir cette traçabilité ne permet pas toujours d’éviter le reproche des entreprises d’avoir ciblé une technique ou une méthodologie qui permette d’en favoriser une, mais cela permet d’avoir les éléments de preuve de la bonne foi de l’acheteur», conclut Nicolas Charrel.