Madame la ministre, des idées pour réformer le marché du travail ?

Avec le nouveau gouvernement, le marché du travail devrait connaître des réformes en profondeur. Le développement du modèle des coopératives pourrait être une solution intéressante pour relancer l’emploi. C’est ce que défend en tout cas ardemment Sandrino Graceffa, DG de SMart Europe, une des plus importantes coopératives européennes. 

Sandrino Graceffa
Sandrino Graceffa
Anne Henry-Castelbou

Sandrino Graceffa.

 

Sandrino Graceffa était de passage à Lille le 16 mai dernier. Il revenait là où il avait créé et dirigé pendant plusieurs années la coopérative SMart France et le premier cluster de l’économie sociale et solidaire en France initiativesETcité. Il vit maintenant à Bruxelles où il dirige SMart Europe. C’était l’occasion de présenter son livre Refaire le monde du travail, une alternative à l’ubérisation de l’économie, sorti en octobre 2016 aux éditions Repas : une réflexion sur l’intérêt économique des coopératives et en quoi elles peuvent être une troisième voie, entre le travail salarié conventionnel et l’auto-entrepreneuriat, et une alternative à l’ubérisation de l’économie. Bref, des pistes pour relancer le marché du travail.

Le plus de la coopérative. Mais il faut d’abord savoir de quoi on parle. Le modèle que défend Sandrino Graceffa n’est pas une simple structure de portage salarial : «Les coopératives comme celle de SMart proposent aux travailleurs indépendants la prise en charge de leur facturation, mais aussi toute une palette de services : avance de trésorerie, conseil juridique, garantie de salaire, microcrédit, espace de coworking…» Et tout ça sans majoration du pourcentage versé par le travailleur indépendant à la coopérative, comme l’explique le directeur : «Smart ne demande que 8,5% du CA de l’indépendant, soit pas plus qu’une structure de portage salarial. Les services supplémentaires que nous proposons sont financés par le réinvestissement des bénéfices de la coopérative dans le fonctionnement de structure.» Un montage intéressant qui séduit aujourd’hui 100 000 indépendants issus des secteurs artistiques, culturels et de la communication. SMart Europe compte également 280 salariés qui font tourner la structure dans 37 implantations et devrait générer près de 200 millions d’euros de CA 2017. Un modèle qui a fait ses preuves.

Smart

Sandrino Graceffa lors de l'AG de SMart France le 16 mai dernier à Lille.

 

Au-delà de ces services, quel intérêt pour un indépendant d’être rattaché à une coopérative ? Il peut d’abord participer à sa gouvernance. «Surtout, il y croise d’autres indépendants, d’autres métiers, avec qui il peut faire du partage d’expérience et être amené à travailler sur des projets parfois inattendus», tient à préciser Sandrino Graceffa. Et, contre toute attente, il y a de tout dans ces coopératives. Chez SMart, certains déclarent jusque 500 000 euros de CA par an. 

Les politiques intéressés. Fort cette expérience, le Nordiste a sorti son ouvrage en 2016, au moment où il prenait la direction de SMart Europe. Il ne se doutait pas du succès qu’il allait avoir dans les sphères politiques. Sandrino Graceffa a été alors auditionné en janvier dernier par les ministres du Travail de la zone Euro, lorsqu’ils travaillaient sur le socle européen des droits sociaux, socle finalisé et présenté le 27 avril dernier par la Commission européenne. «Je me réjouis de voir également que depuis la parution de mon livre, la Confédération européenne des syndicats a décidé de prendre en compte les préoccupations des travailleurs indépendants»,  précise l’auteur. Et il a été contacté pour rejoindre un groupe de travail au sein du Conseil d’Etat, pour étudier l’impact de l’ubérisation de l’économie sur le rôle de l’Etat. Les conclusions seront envoyées au Premier ministre en septembre.

Quatre préconisations. D’ici là, Sandrino Graceffa propose dans son livre quatre axes pour «refaire le monde du travail» : défendre un droit à l’expérimentation sociale à l’échelle européenne, la création d’un régime européen universel de protection sociale, organiser les coopératives économiques et sociales à grande échelle (plusieurs coopératives européennes se sont déjà regroupées dans un grand ensemble appelé “Bigre !”), et promouvoir une économie collaborative non prédatrice pour limiter le développement d’entreprises comme Uber. «Nous voulons que les coopératives, qui sont une solution aujourd’hui, soient un modèle demain. Elles permettent réellement de libérer l’initiative entrepreneuriale.» Autant d’idées qui pourraient intéresser la nouvelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Reste à trouver les moyens financiers et fiscaux pour soutenir ces modèles économiques de l’ombre.