Loi narcotrafic: pour "changer de paradigme", le Sénat approuve la création d'un parquet spécialisé

Un parquet national anticriminalité organisée pour "changer de paradigme" et "réarmer" la France face au narcotrafic: le Sénat a adopté mardi la mesure-phare d'une proposition de loi transpartisane vivement soutenue par le gouvernement, en quête...

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau lors d'une conférence de presse, Versailles, le 24 janvier 2025 © Bertrand GUAY
Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau lors d'une conférence de presse, Versailles, le 24 janvier 2025 © Bertrand GUAY

Un parquet national anticriminalité organisée pour "changer de paradigme" et "réarmer" la France face au narcotrafic: le Sénat a adopté mardi la mesure-phare d'une proposition de loi transpartisane vivement soutenue par le gouvernement, en quête d'un "sursaut national" face aux trafiquants de drogue.

Érigé comme "priorité absolue" du gouvernement par Gérald Darmanin, et comme "menace existentielle" par Bruno Retailleau, le trafic de drogue est au cœur des discussions de la chambre haute jusqu'à mercredi, avec l'examen du texte des sénateurs Étienne Blanc (Les Républicains) et Jérôme Durain (Parti socialiste).

Dans un climat consensuel rarissime sur les sujets régaliens au Parlement, les sénateurs ont approuvé très largement une refonte de l'architecture judiciaire et policière de la lutte contre la criminalité organisée, actant la création d'un parquet national anticriminalité organisée, dénommé Pnaco.

"Un pas historique et décisif dans la lutte contre le narcotrafic a été accompli", a réagi sur X le ministre de la Justice Gérald Darmanin, qui espère voir le Pnaco opérationnel en janvier 2026.

Il a affirmé que ce futur parquet serait mis en place "par défaut à Paris", mais qu'il "pourrait être ailleurs", évoquant notamment Marseille, ville particulièrement ciblée par le trafic de stupéfiants. 

Blanchisseuses

Ce parquet spécialisé, similaire aux parquets financier (PNF) ou antiterroriste (Pnat), serait chargé des crimes les plus graves - le "haut du spectre" - et constituerait une véritable "incarnation" de la lutte contre le narcotrafic, avec un rôle de coordination des parquets locaux. 

Il s'appuierait sur des services d'enquête renforcés: un "état-major criminalité organisée" (EMCO) défendu par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau. Institué par voie réglementaire, cette structure aurait pour ambition de constituer le "bras armé" de la lutte contre la criminalité organisée.

"Devant la submersion (du narcotrafic), un changement de paradigme complet est possible", a plaidé Gérald Darmanin. À ses côtés, Bruno Retailleau a appelé à un "sursaut national" dans un "combat vital", saluant également la "volonté transversale" perceptible au Parlement sur ce dossier.

La proposition de loi du Sénat, au titre évocateur - "sortir la France du piège du narcotrafic" - sera soumise à un vote solennel mardi 4 février, puis l'Assemblée nationale s'en saisira, potentiellement durant la semaine du 17 mars.

Les sénateurs ont approuvé de nombreuses mesures complémentaires: fermeture administrative de commerce soupçonnés d'agir comme des "blanchisseuses", procédure "d'injonction pour richesse inexpliquée" pour obliger les suspects à s'expliquer sur leur train de vie...

Pour frapper les trafiquants "au portefeuille", un double mécanisme de gel judiciaire et administratif des avoirs en matière de trafic de stupéfiants a également été voté. 

Une refonte du statut des "repentis" qui aident la justice à démanteler des réseaux, pouvant aller jusqu'à des "immunités de poursuites", a été entériné, malgré des craintes de Gérald Darmanin face à l'impact de cette mesure sur les victimes et leur famille.

Quelques irritants

Le gouvernement a émis les mêmes réserves sur une autre proposition du Sénat: la création d'un nouveau "délit d'appartenance à une organisation criminelle", caractérisé par le simple fait de concourir au fonctionnement d'une organisation, sans forcément préparer d'infraction.

Certaines mesures sont en effet irritantes, comme l'idée de créer un procès-verbal distinct - ou "dossier-coffre" - pour ne pas divulguer à la défense certaines techniques d'enquête sensibles ; ou la possibilité accordée aux préfets de prononcer des "interdictions de paraître" sur les points de deal. 

Ces deux points, qui font craindre à certains groupes politiques et associations des atteintes aux libertés publiques ou au droit de la défense, seront examinés mercredi.

Quelques clivages sont déjà apparus mardi soir sur un amendement de la droite, relatif aux messageries chiffrées. Adoptée par le Sénat avec l'aval du gouvernement, la mesure visait à imposer à ces plateformes, comme Signal ou Whatsapp, de permettre aux services de renseignement d'accéder aux correspondances des trafiquants, sous conditions strictes.

Plusieurs groupes parlementaires à gauche ont aussi regretté l'absence dans ce texte d'un volet sur la prévention, relançant brièvement la sensible question de la dépénalisation de l'usage de drogues.

"Ce texte contient des mesures attendues, des avancées certaines. Mais seules et sans moyens, elles ne permettront pas de déjouer le piège du narcotrafic", a regretté l'écologiste Guy Benarroche.

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