Loi Macron : les notaires lancent un appel à l’aide de l’Etat

Créations d’offices, pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, tarifs, écrêtement… Les notaires, réunis en congrès à Bruxelles, en appellent à davantage de concertation avec les services publics, ainsi qu’à la négociation d’une convention d’objectifs avec l’Etat.

Marc Cagniart, président du 115ème congrès des notaires de France.
Marc Cagniart, président du 115ème congrès des notaires de France.

Parce qu’elle n’a de cesse de remettre en question les grands équilibres de la profession, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques  de 2015 (dite loi Macron) a été, cette année encore, au cœur des vœux exprimés par le notariat au cours de la séance solennelle d’ouverture du 115e Congrès des notaires de France, qui s’est tenu du 2 au 5 juin à Bruxelles – premier congrès de la profession organisé hors de l’Hexagone, et dédié à la pratique notariale du droit international privé.

Créations
d’offices : une deuxième vague trop précipitée

“Nous faisons la part des choses et nous continuerons naturellement à accueillir les nouveaux confrères” a rappelé Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat.

«Certains imaginaient en France la fin du notariat, en perte de sens, de vitesse (…). Certains imaginaient un notariat renvoyé par la loi Croissance au spectre de son passé (…). Certains imaginaient un notariat privé de sève par la loi Croissance (…). Certains pensaient, et peut-être souhaitaient, que la loi Croissance conduirait à l’éclatement de la profession, fracturée par les divisions, morcelée par les égoïsmes», a ainsi déclaré Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat.

Une profession qui comptait 9 500 notaires et 4 500 études il y a cinq ans et qui en compte aujourd’hui  près de 14 000, au sein de 6 700 offices. «Or, nous venons d’apporter la preuve d’une capacité de solidarité inentamée, aiguisée au contraire. Nous avons en effet, en avril dernier, mis en place différents mécanismes de soutien et de compensation de plusieurs dizaines de millions d’euros sur cotisations exceptionnelles au profit des études les moins robustes. Quelle autre profession est capable d’une telle solidarité ?»

Reste que l’institution représentative de la profession demande à ce que les dispositions de la loi qui prévoient que le rythme des créations doit être progressif soient respectées. «L’arrêté du 3 décembre 2018, qui propose l’installation de 733 nouveaux notaires après plus de 1 600 dans une première vague, n’aurait pas dû être adopté avec cet empressement. Rien ne prescrivait de se précipiter pour cette deuxième vague. C’est désormais au Conseil d’Etat de se prononcer sur le recours que le Conseil supérieur du notariat a déposé.» Mais «nous faisons la part des choses et nous continuerons naturellement à accueillir les nouveaux confrères (…) qui ne sont surtout pas responsables des erreurs qui ont conduit à l’adoption de cet arrêté interministériel», a-t-il assuré.

Appel
à l’aide de l’État

Avec près de 3 000 congressistes, le Congrès des notaires de France fait partie des plus importantes rencontres professionnelles françaises.

La mise en œuvre de cette nouvelle phase de l’application de la loi Croissance va exiger «beaucoup d’intelligence collective, beaucoup d’imagination», a poursuivi le président des notaires de France. «Nous en serons capables, mais ce sera difficile. Nous savons que la seconde vague de créations provoquera des déceptions nombreuses parmi les créateurs, confrontés à tous les défis économiques de start-uppers.» Et «le notariat aura beau faire preuve de beaucoup d’intelligence collective et de bonne volonté, il ne peut pas, il ne pourra pas, continuer à œuvrer de manière positive si l’Etat ne l’y aide pas». C’est pourquoi la profession réclame «de l’équité et de la justice sur trois points précis».

Le premier concerne «la correction des déséquilibres qui caractérise les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence dans l’exercice de la mission qui lui a été conférée par la loi» et qui fait que le notariat ne bénéficie «d’aucune des protections dont jouiraient les entreprises historiques dans le domaine d’application du droit de la concurrence». La profession demande donc un certain nombre de modifications législatives visant à ce que «les avis de l’Autorité ne soient plus publics» et que «des garanties de procédure» lui soient accordées.

Le deuxième point porte sur l’écrêtement, «dont chacun sait qu’il est très concentré» et «c’est injuste». Jean-François Humbert demande «que très rapidement et dans un premier temps, le champ des bénéficiaires de l’écrêtement soit corrigé. De notre côté, pour faire notre part du chemin, nous travaillons à des mesures de simplification des petits actes, notamment ceux qui portent sur des parcelles forestières, et nous en ferons la proposition au ministre de l’Agriculture».

Enfin, la troisième demande porte sur les tarifs, et le représentant de la profession a formulé deux vœux. «Le premier, c’est que l’on nous épargne un système absurde d’analyse au microscope de nos comptabilités, aussi bien qu’un système hyper administré. Le second, c’est qu’on laisse à la profession le moyen de pratiquer une péréquation, à l’intérieur des études, entre les différentes catégories d’actes, et, entre les études, à travers les budgets des instances de la profession, financées sur cotisations.» C’est ainsi que «nous maintenons la solidarité entre les études», et si les tarifs devaient baisser l’an prochain, «nous n’aurions plus les moyens d’une quelconque péréquation».

Vers
une convention d’objectifs avec les pouvoirs publics

Au-delà de ces demandes précises et pressantes, le notariat aspire à faire évoluer ses relations avec les pouvoirs publics de façon plus globale. «Il est urgent qu’avec les services de l’Etat, nous fassions œuvre de cohérence collective», a expliqué Jean-François Humbert. «Je souhaite que nous nous engagions dans la négociation d’une convention d’objectifs dans laquelle il sera reconnu et compris par les quatre ou cinq ministères qui sont nos interlocuteurs que nous contribuons au service public, presque comme des opérateurs, en tout cas comme des auxiliaires.» «Je souhaite, en contrepartie des engagements politiques, financiers et en nature que nous prendrons, bénéficier sur la durée de la convention de la visibilité nécessaire, car nous ne pouvons plus travailler aujourd’hui comme cela (…), de manière désordonnée, la main droite négligeant ce que fait la main gauche.»

Autant de requêtes adressées aux pouvoirs publics et auxquelles le représentant du ministère de la Justice, Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du Sceau, a apporté un certain nombre de réponses. En ce qui concerne la procédure devant l’Autorité de la concurrence, «elle pourrait être améliorée» et «il pourrait être envisagé de la rendre sinon contradictoire en tout cas plus coopérative». Alors «discutons-en, dès aujourd’hui, avec le ministère de l’Économie». De façon plus globale, «nous devons donner de la visibilité à la profession et c’est pourquoi l’idée d’une convention qui rassemblerait l’ensemble des relations qu’ont les notaires avec l’Etat est une bonne idée». Thomas Andrieu a proposé aux notaires «de commencer à y travailler».