Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables : «Il faut créer un fonds exceptionnel…
La crise sanitaire et les difficultés qu’affrontent les chefs d’entreprise ne laissent pas les experts-comptables indifférents. Depuis le premier confinement, ils sont en première ligne, aux côtés des entrepreneurs. Au-delà de cet accompagnement au quotidien, Lionel Canesi, le président du Conseil supérieur de l’Ordre, se montre à la fois offensif et inventif pour trouver une issue positive à cette situation totalement inédite. Pour lui, la relance doit être rapide et forte.
Face
à une situation sanitaire qui se durcit, quels sont vos conseils ?
Comment ressentez-vous les choses pour mieux accompagner les
entreprises ?
Lionel
Canesi : Depuis mars 2020, la profession est engagée au
plus près des entreprises, à la fois dans le décryptage des aides,
dans l'accompagnement, dans le conseil et cette position particulière
et privilégiée de vigie de l'économie permet de voir ce qui se
passe dans nos PME. Ce tissu de 3 millions de PME est très important
et, aujourd'hui, au vu des aides massives qui ont été mises en
place par le Gouvernement, je pense qu'on est aussi champions du
monde de l'accompagnement des entreprises.
Le Gouvernement a déjà beaucoup fait et, en ce nouveau confinement, il faut continuer à accompagner les entreprises. Il faut que les entreprises tiennent car il y a une énorme lassitude chez beaucoup de dirigeants de petites entreprises. Il faut arriver à sauver ces entreprises et remonter le moral des dirigeants si on veut que demain, il y ait une relance de l'économie et si on veut éviter des dépôts de bilan massifs. Je suis persuadé qu'il n'y en aura pas beaucoup mais à condition qu'on prenne quelques mesures pour accompagner les entreprises.
Aujourd’hui, l’oublié principal est le dirigeant, malgré le
Fonds de solidarité qui l’aide à payer ses charges, son loyer,
son assurance, ses emprunts, à la fin du mois, il ne lui reste rien
pour vivre. Il faut que sur ce mois d'avril, il y ait un fonds
exceptionnel d'indemnisation du dirigeant, même si c'est 1 500 ou 2
000 euros, en plus du Fonds de solidarité spécifique aux dirigeants
pour l'aider à vivre. Jusqu'à maintenant, sur les activités
fermées, le Fonds marche très bien. Le problème, ce sont les
activités qui continuent d'être ouvertes et qui perdent du chiffre
d'affaires.
Ne
faudrait-il pas envisager de modifier un peu notre assurance chômage,
faire cotiser les professions libérales, les travailleurs
indépendants pour créer un fonds qui puisse les indemniser s'ils
n'ont pas d'aides ?
Je suis contre une
assurance chômage des travailleurs non-salariés et il n'y a pas de
demande pour cela. Il y a des dispositifs facultatifs qui existent
mais qui n’ont jamais marché parce qu'il n'y a pas ce besoin. Un
entrepreneur qui a un projet d'entreprise, il veut le réaliser, se
battre pour et ne pense pas à l'après, au chômage. Aujourd'hui, on
est face à une situation particulière et catastrophique de crise
sanitaire et, là où un dirigeant qui dépose le bilan assume de le
faire parce qu’il n’a pas réussi, n'y est pour rien dans le
contexte actuel.
Je suis plutôt pour la constitution d'un fonds, à l’instar de celui pour les catastrophes naturelles, qui soit alimenté pour aider les chefs d'entreprise qui allaient bien avant la crise, un fonds qui vienne se substituer à leur caution et les accompagne dans le rebond. Il faut que ça soit du cas par cas pour éviter les abus et les dépôts de bilan frauduleux, mais les tribunaux de commerce, les experts-comptables et l’Etat savent faire la différence.
«Permettons aux entreprises qui le souhaitent d'étaler leurs dettes Covid sur dix ans, ce qui permettra d'avoir des entreprises qui restent en vie et qui peuvent investir»
On
parle aussi des «dettes Covid», qui sont des prêts que vous
proposez d’étaler sur 10 ans…
Nos
TPE/PME ont, en général, autour de 5% à 6% de bénéfice net, ce
qui n’est pas énorme. S’il ne sert qu'à rembourser les dettes
ces prochaines années, il n’y aura plus d'investissement dans
notre pays et donc il n’y aura plus de relance. Il faut identifier
les dettes fiscales et sociales qui ont été générées par la
crise, les mettre de côté, projeter l'activité de l'entreprise et
celle qui est viable sans le remboursement des dettes Covid doit être
sauvée quoi qu'il en coûte. Si on réétale sur dix ans de ces
dettes-là, on donne à l'entreprise la faculté de s'en sortir,
d'investir et ainsi on évite les dépôts de bilan d'entreprises
saines. Faisons les choses simplement, permettons aux entreprises qui
le souhaitent d'étaler leurs dettes Covid sur dix ans, ce qui
permettra aussi d'avoir des entreprises qui restent en vie et qui
peuvent investir.
Les
experts comptables, en tant que conseil des PME, ressentent-ils aussi
les effets des difficultés des entreprises ? Ont-elles les moyens de
vous rémunérer, vous et leurs autres conseils ?
Tout
d’abord, le conseil d'un expert-comptable rapporte plus qu’il ne
coûte. Pour l'instant, on ne ressent pas encore complètement ces
difficultés parce que nous sommes en deuxième rang, on sera en
difficulté quand nos clients seront en difficulté. Avec toutes les
aides massives qu'ont eu les entreprises, elles ne sont pas encore en
difficulté. On le voit bien, les dépôts de bilan sont en chute
libre. Les difficultés arriveront quand il faudra rembourser les
aides et d’autant plus si c’est sur une durée trop courte. Et
derrière, il n'y a pas que les experts-comptables qui seront en
difficulté parce que s'il y a des dépôts de bilan massifs, ce sont
tous les fournisseurs de ces entreprises qui eux aussi ont des
fournisseurs, etc., qui seront en difficulté, donc toute l'économie,
par effet «boule de neige».
Récemment,
vous avez adressé au Gouvernement 50 propositions pour la relance de
l'économie. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes parmi les plus
importantes ?
La
première, c'est de permettre aux grands parents, qui ont de
l’épargne, de donner en franchise de droits, par exemple, jusqu'à
50 000 euros à un enfant ou un petit enfant. Cet argent ira dans le
circuit économique et permettra de relancer la consommation. Idem
pour l'épargne salariale des Français, en débloquant pendant un an
ou deux ans, par exemple pour 2021 et 2022, l'épargne salariale sans
condition, ou encore pour l'assurance vie, en permettant de débloquer
50 000 euros d'assurance vie d'un contrat pour l'utiliser sans
impôts. Concernant le secteur du numérique,
nous proposons le suramortissement. Un commerçant qui achèterait un
site de click and collect pour 5 000 euros, par exemple, déduirait
fiscalement 10 000 euros et bénéficierait donc d’un
suramortissement de 100%.
La
profession d’expert-comptable est donc essentielle pour les
entreprises ?
Je
crois que la profession mérite d'être classée comme une profession
essentielle. C'est une demande que je fais en ce moment parce que on
est au combat depuis un an pour sauver les entreprises. On est en
pleine période fiscale, les experts-comptables et leurs équipes
doivent gérer les déclarations fiscales, les TVA, les salaires, les
demandes d'aides massives, les demandes d'activité partielle,
collecter l'impôt et les charges sociales, tout en étant en
télétravail et en gardant les enfants. Ce n'est pas possible. Je
demande donc que l’on soit reconnu comme une profession
essentielle, ce qui nous permettrait de pouvoir continuer à
travailler car on ne peut pas être en télétravail total, et que la
profession puisse faire garder leurs enfants prioritairement comme
d'autres. On demande juste qu'on nous aide à pouvoir faire notre
travail et continuer à sauver les entreprises.
Propos recueillis par Boris Stoykov – Affiches Parisiennes pour RésoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com