Licences de pêche : la flotte boulonnaise hausse le ton
Cela va bientôt faire un an que le bras de fer a commencé entre le Royaume-Uni et l’Europe quant à l’octroi des licences de pêche. À Boulogne-sur-Mer, 35 bateaux n’ont toujours pas reçu le précieux sésame, provoquant la colère des pêcheurs qui ont manifesté à Calais et à Coquelles le 26 novembre.
«A cette époque de l’année, c’est la saison du bulot. J’allais toujours le pêcher dans les eaux anglaises, mais aujourd’hui je ne peux pas. Clairement, mon entreprise est en péril sans l’accès aux eaux anglaises.» Christophe Lemay, pêcheur à Boulogne-sur-Mer depuis 40 ans, est amer. Le vendredi 26 novembre, il a participé à Calais à la manifestation organisée par les pêcheurs français de la Manche, sur tout le littoral. Les ports de Saint-Malo, Ouistreham et Calais ainsi que le tunnel sous la Manche ont tour à tour été bloqués quelques heures par les pêcheurs. En cause : l'application particulièrement laborieuse de l'accord conclu suite au Brexit, qui prévoyait l'attribution de licences de pêche en eaux britanniques pour les professionnels français...
L'absence de traces GPS
«Les pêcheurs se mobilisent en réaction à l'attitude provocatrice, méprisante et humiliante du Royaume-Uni à leur égard, tempête Gérard Romiti, le président du Comité national des pêches. Il s'agit de faire respecter à la lettre l'accord conclu le 24 décembre 2020 !» Or, depuis un an, les délivrances ne se font qu'au compte-gouttes, avec la mauvaise foi qui caractérise souvent des relations diplomatiques tendues... «Depuis 2008 on alerte : on ne veut pas que les pêcheurs soient la variable d'ajustement du Brexit. Or, c'est bien ce qui est en train de se passer !», dénonce Olivier Leprêtre, président du Comité des pêches du nord de la France.
A Boulogne, 35 bateaux sur les 80 au départ attendent toujours le précieux sésame. En premier lieu, cela bloque du côté des bateaux dits de «remplacement» et qui n’ont donc pas l’antériorité requise par le texte de l’accord sur la pêche de 2020. Londres dit craindre que ces navires soient plus puissants que les anciens et capturent davantage de poissons. Mais cela bloque aussi du côté des demandes des navires de moins de 12 mètres, pour lesquels les Britanniques réclament des preuves quant à l’exploitation des ressources halieutiques en eaux anglaises.
Un problème se pose : ces bateaux ne sont pas ou n’étaient pas équipés de traceurs GPS. «Il n'y avait pas d'obligation européenne à avoir des systèmes de GPS pour ce type de bateau et nous avons fait un gros travail de documentation pour apporter d'autres types de preuves. Le gouvernement anglais doit faire des efforts», a assuré Olivier Leprêtre. «Qu’on vienne me dire à moi que je n’ai jamais pêché dans les eaux anglaises, c’est aberrant. Quand on sort du port de Boulogne, en cinq minutes on est dans les eaux britanniques», rajoute, non sans une once de colère, Christophe Lemay...
Durcir le ton sur le terrain politique
En bloquant notamment une heure durant le port Calais, puis le tunnel sous la Manche, les pêcheurs ont toutefois voulu montrer que ce n'est pas après leurs homologues britanniques qu'ils en ont. Ils dénoncent surtout le mutisme de Bruxelles face à un Boris Johnson qui joue la montre, en ajoutant au fil des jours des clauses unilatérales à l'accord de 2020. «L'engagement de la Commission européenne nous pose question, souligne Gérard Romiti. Il est temps qu'elle affirme ouvertement son prétendu soutien aux pêcheurs européens. Il est temps de montrer notre virilité au gouvernement britannique.» Avec l'objectif de mettre rapidement cette question des licences derrière soi, pour se concentrer sur d'autres sujets.
La question de la gestion partagée de la ressource halieutique entre l'Europe et le Royaume-Uni va en effet rapidement arriver à la table des négociations. Et elle engage sur plusieurs décennies... «Il nous faut retrouver de la visibilité et mettre cette question derrière nous. Car demain, il faudra que l'on continue à gérer les ressources ensemble, avec les pêcheurs britanniques. Et on se garde le droit de ne pas accepter n'importe quoi», défend Dimitri Rogoff, le président du Comité des pêches de Normandie. Olivier Leprêtre ne tient pas un autre discours : «Il faut éviter à tout prix la surexploitation de la ressource. Les poissons ne connaissent pas de frontières. Si on ne gère pas la ressource de chaque côté, on s'en va vers une catastrophe. Ce sera très grave.»
C'est une bonne raison en tout cas pour ne pas s'attaquer frontalement aux pêcheurs britanniques... «Mais si dans les semaines à venir rien ne bouge, nous devrons sévir et montrer que nous avons, nous aussi, un pouvoir de nuisance, prévient Olivier Leprêtre. S'il faut s'attaquer aux produits de la pêche britannique, on le fera. A Boulogne, nous avons les moyens de le faire...»
Toute la filière pêche souffre
Ce sont les pêcheurs qui font entendre leurs voix et qui sont projetés sur le devant la scène. Mais en réalité, dans le Nord - Pas-de-Calais, c’est toute une filière qui souffre. «Les entreprises de mareyages sont elles aussi directement impactées par la limitation des imports. Ce sont des volumes de poisson en moins que nous ne pouvons pas transformer en filets dans nos entreprises», affirme Aymeric Chrzan, secrétaire général du mareyage boulonnais. Chaque année, ce sont près de 300 000 tonnes de produits de la mer frais et surgelés qui passent par le port, ce qui fait de Boulogne-sur-Mer le premier centre européen de transformation des produits de la mer. Aujourd’hui le Brexit change la donne. «Environ 50 000 tonnes proviennent du Royaume-Uni. La quasi-totalité de ce flux se fait par camion via le tunnel sous la Manche. pointe Aymeric Chrzan . Aujourd’hui, de nouvelles procédures et de nouveaux coûts compliquent la tâche des opérateurs.»