Les tribulations de l’épargne réglementée
Avant la mi-janvier doit être arrêté le taux de rémunération du Livret A. Le calcul est automatique, mais la décision reste politique. Parallèlement, la prime versée à l’épargne-logement serait sur la sellette. C’est bien compréhensible. Car sauf erreur grossière du signataire, son attribution paraît tout à fait fantaisiste.
Depuis qu’une règle précise a été établie pour fixer la rémunération du Livret A, dans le but de réduire le Gouvernement au rôle de Ponce Pilate, les chamailles n’ont jamais été aussi nombreuses à l’approche des dates fatidiques où la Banque de France doit annoncer la couleur. Le fameux livret recueille en effet le bas de laine des Français : 260 mds d’euros à ce jour, pour environ 60 millions de comptes. Autant dire que chaque citoyen, du nourrisson au nonagénaire, possède le sien. Ou presque, si l’on tient compte du fait que d’aucuns en possèdent plusieurs, souvent par simple étourderie. Laquelle coûte, si elle est découverte, l’imposition des intérêts du ou des livrets surnuméraires, plus 2% de l’encours d’iceux. Ce n’est pas trop méchant : dans sa grande sollicitude, le législateur n’a pas condamné les contrevenants à casser des cailloux à Cayenne. Ainsi donc, dans une stricte application de la formule réglementaire, le taux de rendement du Livret A devrait être fixé à 1% pour les six mois à venir, contre 1,25% actuellement : ce serait la rémunération la plus faible de son histoire, le maximum ayant été atteint entre 1981 et 1983 (à 8,5%). Mais en 1981, l’inflation se promenait à 13,4%, si bien que le rendement réel des petites économies était alors très nettement négatif. Désormais, la volonté des autorités est de déterminer un taux qui soit en phase avec le prix de l’argent sur le marché, mais qui soit en même temps suffisant pour protéger l’épargne populaire des effets de l’érosion monétaire. A 1%, l’objectif est atteint, compte tenu du niveau rikiki des taux courts et de la modicité (par ailleurs inquiétante) de l’inflation. Au moment où ces lignes sont écrites, la décision n’a pas encore été prise. Mais il semble probable que la rémunération du Livret A sera maintenue à son taux actuel, sur l’argument défendable que les prix progresseront davantage cette année que l’année dernière, ne serait-ce que sous l’impact de la hausse de la TVA. Et sur deux autres arguments non avoués : le premier, c’est que le pékin-électeur est très sensible au sort de sa cagnotte. Même si, au cas d’espèce, le différentiel d’un quart de point ne réduirait que de quelques euros les intérêts du livret moyen. Le deuxième, c’est le risque d’arbitrage d’une partie de ces fonds sur d’autres supports, non réglementés, susceptibles d’offrir un meilleur rendement (non garanti). Or, la collecte du Livret A constitue la principale ressource de financement du logement social. En ces temps où la construction est déclarée insuffisante (un déficit annuel annoncé de 200 000 logements, toutes catégories confondues), il peut sembler hasardeux de parier sur un financement moins coûteux, avec le risque corrélatif de voir la ressource se tarir. Bref, si le statu quo était décidé, la prudence gouvernementale serait justifiée.
Evidemment, tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. En particulier le secteur bancaire, pour lequel le taux du Livret A donne la mesure de l’offre concurrente à proposer à la clientèle. Outre le fait qu’il constitue la base de calcul pour le taux du Livret d’épargne populaire (LEP), celui du Livret d’épargne entreprise (LEE), du compte d’épargne-logement (CEL) et du Livret de développement durable (LDD, anciennement Codévi), toutes ces rémunérations étant à la charge exclusive des établissements. A lui seul, le LDD pèse environ 100 mds d’euros d’encours à la fin de l’année dernière (les banques doivent reverser 65% de leur collecte à la Caisse des dépôts, comme sur le Livret A). Autant dire que les banques sont logiquement très attentives au coût de la ressource représentée par l’épargne réglementée.
Les mystères de l’épargne-logement
Quant à l’épargne-logement, des rumeurs circulent – aussitôt démenties – sur la suppression de la prime d’Etat accordée en fin de contrat (4 ans) pour les titulaires de plans et comptes sollicitant un crédit immobilier. En se référant aux statistiques1 publiées par la Direction générale du Trésor (pour 2012 ; celles de 2013 ne seront disponibles qu’en avril), il est aisé de comprendre l’attitude du ministre des Finances. D’évidence, l’épargne-logement ne permet plus aux souscripteurs d’obtenir des conditions de crédit privilégiées. Si le rendement de l’épargne est attrayant (2,5%, moins les prélèvements fiscaux) sur une période relativement courte, le crédit (4,20%, hors assurance) n’est pas du tout concurrentiel par rapport aux conditions présentes du marché. Il en résulte que les titulaires désireux d’obtenir la prime d’Etat (1 500 euros environ, au maximum) ont intérêt à n’emprunter que le minimum exigé (5000 euros) afin de rentabiliser l’opération.
Les statistiques devraient le démontrer : à la fin 2012, les prêts consentis sur l’exercice se sont élevés à 1,35 Md€ (3,59% seulement des 227 mds d’encours d’épargne) et les primes versées représentent un peu plus de 700 millions (pratiquement 1 000 euros par dossier). Manifestement, il y a un bug quelque part. Sachant que 741 416 primes ont été versées, on devrait obtenir (avec l’obligation d’un emprunt minimum de 5 000 euros), un nouvel encours de crédit au moins égal à 3,7 Md€. Or, il n’apparaît que 1,35 Md€. Ou bien quelque subtilité a échappé au signataire, ou bien les banques ont trouvé une ficelle pour faire octroyer la prime sans délivrer le crédit obligatoire. Dans ce cas, à la place du ministre, on n’hésiterait pas une seconde à sucrer ladite prime. Et à contraindre les banques à reverser au Trésor celles qui ont été indûment attribuées. Un joli magot pour réduire le déficit.