Les territoires se mobilisent

La lutte continue pour les salariés de SeaFrance. Deux mois après le lancement de leur projet de reprise de leur entreprise, ils sont près de 600 à souhaiter devenir les futurs sociétaires de la SCOP. Avec 290 autres personnes (familles, amis, élus, acteurs du monde social et solidaire), ils espèrent en la décision du tribunal de commerce de Paris qui s’est prononcé le 19 décembre dernier sur le sort de la filiale maritime de la SNCF. Au moment de boucler ce numéro, nous ne savons pas si le tribunal de commerce de Paris a pris sa décision sur l’offre de reprise déposée par les salariés de SeaFrance. Le tribunal n’aura que deux alternatives après la décision de DFDS/ LDA de ne pas déposer une autre offre : la liquidation totale ou la reprise par la SCOP. A Calais, le climat reste tendu, et les navires, sous surveillance.

Après la décision de la direction et des administrateurs judiciaires de stopper la circulation des navires dans la soirée du 15 novembre dernier, le juge des référés, saisi par les salariés, s’était déclaré incompétent et avait nommé un médiateur pour sortir les parties de l’ornière. Peine perdue, les positions étaient trop radicales. “Une médiation sans document ? On nous a fait tourner en rond. La médiation n’a jamais eu pour but de trouver une solution”, tranche Didier Capelle, secrétaire de la CFDT maritime Nord. Deux propositions étaient sur la table : “l’arrêt technique du Molière et du Nord-Pas-de-Calais pour 500 000 euros. Et un arrêt technique du Rodin pour 1,6 million d’euros dont 150 000 euros de pièces. Ensuite, leur proposition a changé : 1 million d’euros pour les arrêts techniques répartis sur les quatre navires. Du saupoudrage qui ne sert à rien” selon le syndicaliste. Surtout, ni la direction ni les administrateurs judiciaires ne voulaient s’engager sur une date de remise en circulation des navires. Toujours à l’arrêt, la flotte de SeaFrance reste en effet l’enjeu principal aujourd’hui. Le 12 décembre dernier au soir, discret jusquelà, le consortium DFDS/LDA a fait connaître sa position en relatant sa version des faits récents. “Depuis la décision du tribunal de liquider la société SeaFrance et de fixer au 12 décembre la date ultime de dépôt de nouvelles offres, DFDS et Louis Dreyfus armateurs ont entrepris d’importantes démarches avec la plupart des parties concernées afin de pouvoir construire une nouvelle offre. La priorité était de répondre aux préoccupations sociales exprimées et d’augmenter le nombre de salariés repris dans l’offre. Malheureusement, dans le cours de ce processus, il n’a pas été possible de rencontrer le syndicat majoritaire de la société SeaFrance, qui a d’ailleurs toujours systématiquement décliné nos propositions de rencontre, et encore une fois ces derniers jours”, dit le communiqué.

La stratégie de DFDS.
DFDS a dit qu’elle ne déposerait pas d’offre fin novembre. Les rencontrer ? On en connaît suffisamment sur eux !” réplique la CFDT. “En conséquence et conscients de l ’ i m p o r t a n c e d’avoir des relations sociales constructives et stables avec tous les syndicats représentant les salariés de SeaFrance, DFDS et Louis Dreyfus armateurs ont décidé de ne pas soumettre une offre révisée”, ajoute DFSDS LDA qui reste néanmoins en veille : “Nous continuerons à examiner la situation et évaluer toutes les possibilités futures qui pourraient se présenter pour notre partenariat commun.” L’offre de reprise du consortium tenait dans une reprise partiel des actifs, la vente d’un bateau et le licenciement de près de 500 salariés. Sur la table, les Danois ne mettaient que 5 millions d’euros pour une flotte que les administrateurs judiciaires estimaient à 60 millions d’euros… Si DFDS comptait négocier une offre partagée avec la SCOP, le groupe aura mis trop de temps pour faire connaître des propositions plus acceptables, notamment en cash. Le groupe danois joue probablement sur une autre échéance, celle de la liquidation totale, après quoi il pourra choisir ses actifs… comme les salariés à reprendre. Il faudra attendre la fin de la poursuite d’activité fixée au 28 janvier 2012. De leur côté, les promoteurs de la SCOP ont organisé une manifestation, le 10 décembre dernier, dans les rues de Calais. Environ 1 000 personnes, dont de nombreux responsables publics, ont battu le pavé pour les soutenir.

Des bonnes volontés, mais…
Distante au possible des responsables de la CFDT à l’initiative du projet de SCOP, la sénatrice-maire Natacha Bouchart a fini par rallier la cause mais déplore que les promoteurs de la SCOP aient refusé de rencontrer la direction de DFDS venue présenter son offre au ministre des Transports le 8 décembre dernier : “Le syndicat aurait dû rencontrer DFDS. L’offre de DFDS n’est pas ingrate, à part sur les navires. Il faut les respecter.” Elle s’est toutefois prononcée pour le soutien au projet de SCOP avec un million d’euros : “c’est la Région qui validera le dispositif. Nous venons simplement accompagner. S’ils ont besoin d’une lettre d’intention pour leur offre, nous la ferons”, a-t-elle dit lors de la manifestation. Plus loin, dans le cortège, Jacky Hénin restait quant à lui optimiste : “Tout est possible à ce jour. La SCOP est là pour défendre les 890 emplois. L’Etat a une responsabilité particulière car il est actionnaire unique de la SNCF et a le pouvoir de contraindre.” Quid des oppositions de la commission en cas d’intervention publique pour la compagnie de droit privé qu’est SeaFrance ? “Le département de Seine-Maritime a bien acheté un bateau pour une compagnie… Tout cela ne tient pas”, rétorque l’édile. Les collectivités ont commencé à soutenir : 100 000 euros viendraient de la mairie de Grande-Synthe qui a entraîné dans son sillage les communes de Loon-Plage, Gravelines (150 000 euros), Coudekerque-Branche. En attendant Dunkerque. L’agglomération calaisienne mettra aussi la main à la poche, dixit son président, Philippe Blet. Le Conseil régional avait parlé de 11 millions d’euros il y a quelques jours. Un conseiller général de Calais s’est même avancé pour 1 million d’euros supplémentaire. Mais si les bonnes volontés sont là, rien n’est joué. Aucune lettre d’intention n’est encore parvenue aux promoteurs de la SCOP ; le montage juridique pour acheter un bateau sur fonds publics et le louer à la SCOP n’est pas prêt ; l’avance sur trésorerie attendue n’est pas actée… Quelle viabilité donc pour un projet qui réclame quand même 50 millions d’euros pour commencer ?

L’offre de la SCOP.Les promoteurs de la SCOP nous ont laissé feuilleter leur business plan. Voilà ce qu’on peut lire dans l’offre déposée le 12 décembre dernier au tribunal de commerce de Paris. “La priorité sera donnée au Rodin et au Berlioz en rotation rapide” dit le document en guise d’introduction. Ces deux navires sont en effet moins gourmands en carburant que le Molière. Les chiffres de base pour l’établissement de leur plan sont ceux de mai dernier. A l’époque, SeaFrance totalisait 4 351 traversées pour 1,6 million de véhicules de tourisme (-7%), 5 500 cars (-19%) et 1,3 million de camions (+13%). Au printemps dernier, le taux de remplissage des navires de la compagnie atteignait 70%, “l’un des plus haut taux depuis trois ans” clament les salariés. Le plan d’action du projet se résume à quelques grands axes : “rétablir l’image”, “remettre le client comme unique enjeu”, “arrêter l’hémorragie financière”, “reconstituer les ressources”, et “adopter une attitude plus agressive” en termes de concurrence. Les prévisions des promoteurs sont modérément optimistes. L’activité devrait avoisiner 116,32 millions d’euros en 2012 ; puis 152,9 millions l’année suivante ; 173,13 millions en 2014 ;190,8 en 2015 ; et 206,2 millions d’euros en 2016. En résultat d’exploitation, la nouvelle compagnie afficherait des pertes les deux prochaines années (28 et 8,66 millions d’euros) avant de revenir à des chiffres positifs avec 3,71 millions d’euros en 2014, puis 15,66 et 20,63 millions en 2016. Pour atteindre ces objectifs financiers, les trafics devraient croître de la manière suivante : hausse de 3,5% des camions en 2012 ; puis 2,5% en 2013 ; 1% en 2014 et 2015 ; et 1,5% en 2016. Les cars prendraient 2,5% en 2012 et 1% les quatre années suivantes. Enfin, les véhicules de tourisme devraient suivre cette perspective : + 3,5% en 2012 ; 2% en 2013 et 2014 ; 1,5% en 2015 ; et 2% en 2016. Des chiffres que les promoteurs ont étalonnés sur d’autres études sur le trafic maritime transmanche. “Calais-Douvres, c’est la voie royale. Evidemment qu’elle est rentable : SeaFrance n’est pas un puits sans fond. Pendant 17 ans, nous n’avons eu besoin de personne pour fonctionner. Il ne faut pas l’oublier”, rappelle un vieux marin. Les difficultés ne sont arrivées qu’en 2007 et n’ont pas cessé de malmener la dernière compagnie maritime française sur le Détroit.