Les "Sephora kids" de TikTok: se maquiller n'est pas jouer

Elles sont surnommées les "Sephora Kids": sur TikTok, des pré-adolescentes américaines, encouragées par leurs parents, engrangent les abonnés en filmant leurs achats de maquillage puis leur routine "skincare", une tendance inquiétante pour leur santé mentale et physique, selon les spécialistes...

Le magasin Sephora des Champs-Elysées à Paris le 28 septembre 2013 © KENZO TRIBOUILLARD
Le magasin Sephora des Champs-Elysées à Paris le 28 septembre 2013 © KENZO TRIBOUILLARD

Elles sont surnommées les "Sephora Kids": sur TikTok, des pré-adolescentes américaines, encouragées par leurs parents, engrangent les abonnés en filmant leurs achats de maquillage puis leur routine "skincare", une tendance inquiétante pour leur santé mentale et physique, selon les spécialistes, mais qui n'est pas encore massive en France.

Leurs vidéos comptent des milliers de partages: des fillettes de 8 à 12 ans, hystériques devant un pot de crème hydratante et "rajeunissante", ou suppliant leur mère de leur offrir un anticernes: "C'est celui-ci que j'ai vu en vidéo, je le veux, je le veux!" 

Suite du feuilleton: l'enfant est filmée devant le miroir, un bandeau en éponge retenant ses cheveux, façon tutoriel de beauté. Les "Sephora kids" singent les mimiques des influenceuses beauté en pinçant les lèvres ou posant délicatement le visage sur leurs paumes ouvertes: "le gloss il est TROP stylé, j'adore le résultat".

Sur le réseau, la polémique porte notamment sur les sommes dépensées: les marques préférées des petites "tiktokeuses" sont très onéreuses - leur crème star coûte près de 70 euros.

"Comment ces petites filles peuvent dépenser l'équivalent de mon salaire en produits de beauté?", s'interroge une vendeuse Sephora sur TikTok aux Etats-Unis. Des employés de la marque détenue par LVMH déplorent aussi le comportement des petites clientes: les vidéos montrant des rayons dévastés après le passage de très jeunes clientes sont légion outre-Atlantique.

- Produits agressifs -

Rien de tel en France, assure une vendeuse de cette chaîne, gare de Lyon, à Paris: "On voit de plus en plus de jeunes filles, mais elles sont accompagnées de leurs parents et se tiennent bien."  

Sephora n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Les produits vantés dans ces vidéos, malgré leur emballage pastel gourmand et régressif, contiennent par ailleurs des actifs agressifs comme le rétinol, destiné aux peaux matures, selon des experts.

"De plus en plus d'enfants utilisent des produits cosmétiques pour adultes. Beaucoup des parents que je reçois n'ont même pas idée qu'il y a un risque et font plus confiance aux +influenceurs beauté+ qu'à leur médecin", déplore auprès de l'AFP le dermatologue américain Danilo Del Campo. Il a constaté "une hausse des consultations pour des réactions cutanées et des soucis résultant d'un mésusage de ces produits".

Le dermatologue prévient: "La peau jeune est plus délicate et plus sensible aux irritations". La barrière cutanée peut être abîmée par des composants inadaptés, souligne-t-il, alertant aussi contre une exposition trop précoce aux produits chimiques contenus dans ces cosmétiques.

En consultation, le Dr Del Campo voit aussi des "problèmes d'estime de soi chez des jeunes enfants qui ressentent le besoin de corriger des défauts qui n'existent même pas".

Elles sont les poupées

Sur TikTok, des mères de famille relativisent en assurant que ce n'est qu'un "jeu". Mais pour Michaël Stora, psychanalyste expert des pratiques numériques: "ces fillettes ne jouent pas à la poupée comme on peut l'attendre à leur âge, elles sont les poupées".

Il relève "la dimension prévisible" du phénomène, chez des enfants "photographiés et postés" sur les réseaux dès leur naissance. Voire "objets de fétichisation" de leurs parents, qui voient dans leurs enfants une prolongation d'eux-mêmes, à l'instar de la star planétaire Kim Kardashian. Sa fille North West est l'icône des "Sephora Kids".

"Je vois de plus en plus de parents qui sont dans cette fragilité narcissique où ils envisagent le monde uniquement en beau/pas beau", constate M. Stora, se posant la question de l'hyper-sexualisation des enfants.

Solène Delecourt, professeure à Berkeley, spécialiste des inégalités sociales, pense aussi que ces vidéos "peuvent renforcer et perpétuer une représentation très stéréotypée des filles et des femmes" déjà à l'oeuvre en ligne: "Ce ne sont pas des femmes mais elles sont déjà sujets d'une intense pression sociale".

Son étude publiée dans Nature en février révèle que les images sur internet amplifient les biais de genre, au détriment des femmes, avec un effet durable sur les utilisateurs qui y sont exposés.

34KC79F