Les professions réglementées vigilantes face au développement des plateformes
Les représentants de plusieurs professions réglementées ont été auditionnés par la mission d’information du Sénat sur l’impact des plateformes numériques sur le travail. Ils ont ainsi pu exposer leurs éventuelles préoccupations à l’égard de ce phénomène. Tour d’horizon.
Artisans, médecins, avocats, experts-comptables et architectes. Des représentants de toutes ces professions réglementées sont venus, le 14 septembre dernier, expliquer aux sénateurs membres de la mission d’information sur l’«Ubérisation de la société et l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi» dans quelle mesure ce phénomène affecte leur profession.
Développer et mettre en avant les labels pour soutenir les artisans
«La transition digitale, nous y avons été confrontés avec Uber», a rappelé le directeur général du réseau des Chambres des métiers et de l’artisanat, Julien Gondard. Dernièrement, «l’État nous a demandé de mener des diagnostics numériques pour savoir quel était l’impact de ces technologies sur les métiers que nous accompagnons.» Et il ressort des quelque 5 000 diagnostics réalisés ces derniers mois par les Chambres que seuls «16% des artisans sont déjà sur des plateformes spécialisées, c’est assez faible.»
Or, si la plateformisation se développe, «il y a un risque de confiscation du lien direct avec le client», «un risque de déférencement sur Internet si nos entreprises ne sont pas formées» à ces outils, et un risque de dumping sur «les prix en raison de la concurrence exacerbée en ligne». C’est pourquoi les Chambres, qui s’attachent à défendre «la qualification professionnelle et l’acquisition des compétences», veulent développer et mettre en avant «les labels» sur les plateformes, «parce qu’un artisan doit pouvoir exprimer son talent et défendre un savoir-faire acquis avec le temps».
Contrôler le cadre de la téléconsultation avec un médecin
«De prime abord, l’ubérisation de la profession de médecin n’est pas une angoisse pour le Conseil national de l’Ordre des médecins», a déclaré son vice-président, Gilles Munier. Pour la profession, l’émergence de plateformes numériques vise essentiellement le référencement des praticiens, la prise de rendez-vous et la téléconsultation. Et le risque majeur est lié au développement de la téléconsultation «via des plateformes basées à l’étranger» qui «pourraient employer ou salarier des médecins non-inscrits à l’ordre», avec «des risques sur la qualité et la sécurité des soins » et « des questions assurantielles et de responsabilité civile professionnelle».
Aujourd’hui, la convention signée par la profession avec l’Assurance maladie prévoit d’ailleurs qu’un médecin «ne peut pas exercer uniquement en téléconsultations, il lui faut une activité physique réelle». Autre point de vigilance : le système de référencement des plateformes de prises de rendez-vous. «On voit poindre le risque que si le médecin ne propose pas de disponibilités dans un délai raisonnable, le patient est systématiquement orienté vers un autre médecin », ce qui induit « un risque lié à une prise en charge fragmentée, sans continuum».
Récupérer le marché grâce à la plate-forme «avocats.fr»
Pour la profession d’avocat, le développement des plateformes est particulièrement prégnant dans deux domaines : la mise en relation avec les clients et les services juridiques rendus en ligne. «Nous avons eu peur d’une forme de précarisation et de dumping», a expliqué le président du Conseil national des barreaux (CNB), Jérôme Gavaudan, mais «pour l’instant, ce n’est pas frontalement une difficulté pour la profession d’avocat».
Du côté des plateformes de mise en relation, «c’est parti très fort», mais «on s’aperçoit qu’il y a un essoufflement sur le secteur des legaltechs privées». «Les fonds mis dans ce type de plateformes ne sont pas importants, (…) les legaltechs n’intéressent pas les financeurs», a-t-il pointé. En matière de consultations juridiques en ligne, «nous travaillons avec la Chancellerie pour donner une définition plus précise de la consultation juridique pour pouvoir interdire à des legaltechs de donner des mauvais conseils en ligne». La profession a créé sa propre plateforme de mise en relation et de consultations juridiques en ligne (avocats.fr) et s’efforce «de récupérer ce marché».
Réglementer les plateformes qui s’approprient la conception architecturale
Pour la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, Christine Leconte, les plateformes qui posent des difficultés à la profession sont celles qui «proposent des services d’accompagnement des clients dans la réalisation des démarches et dans la recherche des financements de projets», celles qui «mêlent des architectes et d’autres professions – décorateurs, architectes d’intérieur… – et entretiennent un flou sur qui fait quoi, avec parfois même des usurpations du titre ou des utilisations trompeuses de références», et enfin, «les applications numériques de choix de plans, de pré-réalisation de projets, où l’architecte est remplacé par un algorithme, qui ne tient évidemment pas compte de l’environnement, des ressources locales, de l’état du sol, des voisins, du PLU…».
Ce sont ces dernières applications qui «inquiètent le plus» la profession. Or, ces dernières «ont tendance à se développer avec les particuliers comme avec les promoteurs dans le logement collectif», précise Christine Leconte . Il est nécessaire de «réglementer les plateformes qui visent à s’approprier la conception architecturale», et notamment «celles basées à l’étranger», a-t-elle conclu.
Vigilance sur le déploiement des robots comptables
La seule véritable difficulté que pose le développement des plateformes numériques pour la profession comptable concerne le recours à «des robots comptables qui ont besoin à un moment donné d’une intervention humaine pour imputer une écriture comptable», a expliqué le vice-président du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, Jean-Luc Flabeau. Car si jamais l’intervenant n’est pas membre de la profession, «on peut se trouver dans le cas d’un exercice illégal de la profession» et, surtout, «cela peut être très dangereux pour nos clients TPE et PME». Autre préoccupation de la profession : si le recours à ces «robots comptables» accessibles en ligne venait à se généraliser, cela présenterait des risques pour les entreprises, car elles seraient alors privées de «toute la partie conseil» associée aux prestations des professionnels du chiffre.
La mission d’information sur l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi doit rendre son rapport fin septembre.