Les nouveaux modes de travail bousculent les habitudes des collaborateurs
Nouveaux modes de management, télétravail généralisé, collaboration à distance… Après une année de transformation, la rentrée 2021 sera placée sous le signe du travail hybride, entre présentiel et distanciel. Natixis s’interroge sur la question de savoir, dans ce contexte, comment préserver le lien social entre les collaborateurs et leur motivation au sein de l’entreprise.
«La crise, les différents confinements, le télétravail et plus largement ces 40 dernières années, la flexibilité du travail ont changé profondément les modalités d’exercice du travail et accéléré certaines mutations comme le processus d’individualisation et la remise en cause du collectif», affirme Jean-Yves Boulin, sociologue et chercheur à l’Irisso, Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales de l’université Paris-Dauphine. Pour le sociologue, ces constats posent diverses questions. Notamment celle de savoir comment reconstituer du collectif tout en répondant à la demande d’autonomie de certains collaborateurs.
«La difficulté pour les entreprises et les managers est de réussir à articuler ces trois paramètres : individualisation, autonomie et collectif.» Pour Stephan Dixmier, directeur de la Business Unit Benefits de Natixis Payments, si l’on ne connaît pas encore toutes les répercussions de la crise, on constate une évolution dans le lien entre les entreprises et leurs collaborateurs. «Le besoin d’autonomie, de responsabilisation et de sens qui préexistaient déjà avant la crise ont été accélérés avec elle», note Stephan Dixmier.
Selon lui, l’entreprise doit mettre en place des événements, créer du collectif pour favoriser les initiatives, donner du sens et rendre les collaborateurs acteurs du changement et du développement des entreprises. «Pour donner du sens au travail, il faut responsabiliser les salariés pour les valoriser. Une tendance qui s’est accélérée du fait de l’éloignement et de la distanciation».
48 minutes de travail en plus
Le télétravail a également provoqué des inégalités, voire «des fractures de classes, selon le terme marxiste», constate Jean-Yves Boulin. Le corps social risque de se fragmenter entre ceux qui sont éligibles au télétravail –cadres et professions intermédiaires– et ceux qui ne le sont pas, comme les employés ou les ouvriers. D’autres inégalités se sont accentuées, comme celle de genre, plus ou moins importantes selon les CSP, entre ceux qui peuvent dédier du temps à leur travail et ceux qui doivent s’occuper de leurs enfants.
Autre impact de la crise, le changement du rapport et du sens porté au travail. Selon la dernière enquête Evrest (Evolutions et relations en santé au travail), 10% des salariés ont ainsi changé le sens qu’ils portaient à leur travail. «Une attention d’autant plus importante en France où l’identité se constitue souvent dans le travail. Un sens qui est à la fois individuel et collectif et passe par la reconnaissance de son travail, rendue plus compliquée avec le travail à distance», commente Jean-Yves Boulin.
Se pose enfin la question de la composition organique du temps de travail et de la manière de discuter de son travail. Pour les collaborateurs en télétravail, le temps de travail aurait augmenté de 48 minutes quotidiennes*. «C’est à la fois paradoxal et contre-intuitif et engendre des problèmes sur le droit à la déconnexion, avec des télétravailleurs qui se déconnectent moins facilement», commente Jean-Yves Boulin. Si les entreprises ne se préoccupaient auparavant que de la vie de leurs collaborateurs sur site, leur responsabilité va aujourd’hui plus loin. «Elles doivent tenir compte de la diversité des situations des salariés chez eux et proposer des politiques sociales plus ciblées et des avantages salariaux pour favoriser et simplifier leur vie en général, comme des services de garde d’enfants ou des dispositifs de chèque emploi service universel», cite Stephan Dixmier.
Perte des codes et des rituels
Autre travers mis en lumière par le télétravail, «les salariés ne maîtrisent plus leur quotidien et leur agenda comme ils le faisaient lorsqu’ils étaient sur site», constate Stephan Dixmier. Même si, selon lui, les salariés ont commencé à domestiquer leur agenda et que le management fait des efforts pour les accompagner et respecter leurs pauses. Reste que «les rituels sont différents et que le rapport à l’autre a évolué, avec notamment la perte des codes et des rituels tels que ceux autour de la machine à café ou des repas partagés. Il y a un appauvrissement de la communication. (...) Il apparaît plus difficile de savoir dans quel état d’esprit est l’autre et comment il va».
Heureusement, le télétravail ne sera pas le seul mode d’organisation de cette rentrée. Le travail hybride étant envisagé dans la majeure partie des organisations, avec une moyenne de deux jours par semaine de travail à distance. «Selon une de mes études, les salariés ne veulent plus d’un télétravail à 100%. L’appétence pour le télétravail étant souvent corrélée au temps de transport», constate Jean-Yves Boulin. Une appétence qui est également liée aux conditions de logement des collaborateurs et à la disponibilité ou non d’un espace dédié au travail. Et pour attirer de nouveau les collaborateurs sur site, les entreprises doivent se réinventer en réaménageant leurs locaux et en créant des espaces de convivialité. «Le rôle de l’entreprise est de rétablir le lien et l’informel», avertit Stephan Dixmier. Afin de recréer du climat social, il est important d’y favoriser les repas partagés et de faire émerger des moments conviviaux. «Le présentiel doit être centré sur les échanges avec les pairs et les collègues pour évoquer le travail et comprendre les différents métiers de l’entreprise. C’est la délibération autour du travail qui permet de lui donner du sens», conclut Jean-Yves Boulin.
* Enquête américaine de New York University et Harvard menée dans 16 villes du monde.